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l’unité du monde et le progrès humain

ment le caractère et la conscience qu’on ne saurait confondre — et aussi la religion dont il est malaisé de disserter sans éveiller des passions qui repoussent le droit de critique. Les Églises ont traversé dès l’origine des périodes de décadence et des périodes de redressement. Il est généralement reconnu aujourd’hui, même par leurs fidèles, qu’elles obéissent aux lois de l’évolution comme toutes les institutions. Les effectifs qui représentent leur puissance numérique, sans être stationnaires, n’ont pas subi les modifications considérables escomptées par les chefs. Elles ont, en somme, peu gagné les unes sur les autres au total[1] ; elles ont sans doute perdu par rapport à la libre-pensée mais la libre-pensée s’est de son côté dépouillée de son caractère agressif et violent. Vers la fin du xixme siècle notamment le doute a chez beaucoup de libre-penseurs pris la place de la négation intransigeante tandis qu’au sein des Églises le sentiment religieux tendait à l’emporter sur le dogme. Or le dogme inspire volontiers l’intolérance alors que le sentiment religieux s’accommode de bienveillance à l’égard de ceux qui ne l’éprouvent point. Il constitue aussi un facteur d’unité comme il est apparu par exemple au congrès des religions tenu à Chicago en 1893 ; le dogme ne saurait l’être ; toute perspective de réaliser l’unité dogmatique parmi les hommes semble écartée désormais. La foi, l’espérance et la charité justement dénommées « vertus théologales » ont continué d’alimenter le sentiment religieux dans la plupart des Églises mais non point à doses égales. La foi vacille souvent ; l’espérance au contraire se terre indéracinable dans le cœur de l’homme. La charité n’a cessé de se fortifier et de se propager ; c’est la véritable conquête des temps modernes dans le domaine moral comme l’est l’électricité dans l’ordre matériel. Qu’on la débaptise pour l’appeler altruisme ou solidarisme, elle conserve le même visage. C’est toujours l’« amour du prochain » entrevu par les religions antérieures et auquel l’évangile a donné une formule définitive en l’érigeant en devoir social.

De ce chef la conscience de l’homme civilisé apparaîtrait comme susceptible de perfectionnement mais on n’en peut encore juger, les germes de corruption s’étant accrus au sein de la société. Il y a là comme deux énergies contraires en lutte

  1. La plupart des statistiques n’apportent que des données très imprécises à cet égard car nombreux sont les individus inscrits dans les rangs d’une Église et qui en vivent éloignés ou ne fréquentent le culte que pour des motifs étrangers à la religion.