Mais François II ne fit que passer sur le trône et Marie prématurément veuve retourna dans son pays. Elle y était comme étrangère. Les rois d’Écosse s’étaient souvent appuyés sur l’Église dans leur lutte contre les seigneurs féodaux. Ceux-ci dans l’espoir de reprendre leurs biens avaient soutenu la Réforme ; le peuple par désir d’émancipation en avait fait autant. Catholique et francisée, Marie vécut dans sa sombre capitale des jours de mélancolie et de désespérance. Cependant son charme et sa beauté — ces dons qui excitaient la rage jalouse d’Élisabeth lui gagnaient bien des cœurs. Devant elle se dressait le farouche réformateur John Knox, avec son éloquence apocalyptique. Environnée d’embûches et d’intrigues Marie, par deux mariages successifs et sujets à critique, compliqua et empira sa situation. Abandonnée, elle se livra imprudemment à Élisabeth qui, l’ayant retenue dix-huit ans en prison, finit par la faire mettre à mort (1587) non sans protester contre l’exécution d’un ordre qu’elle prétendit bien entendu n’avoir pas donné. Le plus dramatique en tout cela c’est que Marie Stuart laissait un fils, roi d’Écosse sous le nom de Jacques VI et qui était le seul héritier d’Élisabeth à laquelle il devait succéder sous le nom de Jacques Ier d’Angleterre. Mais il ne défendit ni ne vengea sa mère : personnage médiocre à tous égards, il devait singulièrement contribuer par ses fautes à préparer la nouvelle tragédie qui coûterait la vie à son fils Charles Ier.
Un écrivain, cherchant à définir l’Angleterre au temps d’Élisabeth a résumé ainsi sa pensée : « peu d’idées, point d’horizon, nulle indépendance, beaucoup de sécurité ». On ne saurait mieux dire. Il est seulement étrange qu’une pareille époque soit en même temps celle de Shakespeare. Mais Shakespeare, c’est une de ces fulgurations qui échappent aux ambiances et démentent la logique. Et tandis qu’Hamlet et tant d’autres chefs-d’œuvre l’illustraient à jamais, autour de lui se mouvait une société foncièrement matérielle, satisfaite d’un travail productif et borné. Le « squire » dans son domaine et le « recteur » dans sa paroisse veillaient au bon fonctionnement d’une sorte de service agricole obligatoire. À la vieille noblesse effritée en avait succédé une autre que la Réforme avait enrichie et qui, partant, lui demeurait fort attachée. Ces gens savaient gré au gouvernement de leur avoir en somme rendu une monnaie saine, un crédit sérieux, des finances bien gérées. Le « make money » commençait à devenir leur devise inconsciente.