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prendre une influence considérable sur la marche des affaires. Ses membres se sont conduits en opportunistes, en « possibilistes », mais sans perdre de vue le résultat final, qui sera le rétablissement de la Pologne. Sans doute, ce rétablissement, ils l’ont rêvé complet, absolu. L’autonomie sans l’indépendance leur semblerait une duperie. Si demain, pourtant, la succession d’Autriche s’étant ouverte, le Tsar les conviait à se réunir à leurs frères pour vivre librement sous son sceptre, ils n’auraient pas le droit de refuser ; leur russophobie ne saurait prévaloir contre les intérêts manifestes de la patrie. Il y a parmi eux, d’ailleurs, plus d’un fin politique ; ceux-là ont dû, depuis longtemps, peser le pour et le contre ; et ils savent bien que la future Pologne aurait tout à perdre à se séparer de la Russie, tout à gagner dans le maintien de l’union.

Le grand écueil en cette affaire, c’est la coïncidence des deux événements : d’une part, la dislocation de l’Autriche qui posera la question polonaise ; de l’autre, une modification radicale du système politique russe, nécessaire pour la résoudre. Tout annonce que l’Autriche est près de sa fin, mais rien n’indique que la Russie se prépare à la réforme de son système, ni même qu’elle en aperçoive encore la nécessité. L’autocratisme, chez elle, ne fera point une brusque faillite ; il ira se compliquant, s’embarrassant de plus en plus dans ses propres vêtements. Peut-être cherchera-t-on à le soutenir par des diversions bruyantes au dehors. Le panslavisme formerait un facile prétexte. La Russie, à cet égard, a de dangereuses traditions. Du jour où Napoléon ier après lui avoir offert sur le radeau du Niémen le partage du monde, s’est fait battre par elle, — lui, l’invincible ! — elle a pris le goût et l’habitude de l’intervention. Or, le panslavisme et l’orthodoxie colorent facilement ses interventions d’un reflet de croisade qui peut tromper l’Empereur lui-même et détourner la nation de sa véritable voie.