nos petits-fils, l’étrangeté incolore de la période qui s’achève apparaîtra bien plus nettement qu’elle ne le fait à nos yeux. On ne l’expliquera que par les bouleversements que les découvertes scientifiques ont fait subir aux conditions de la vie matérielle des individus, et aussi par la montée lente et incessante du flot démocratique qui a hypnotisé les esprits et troublé les idées. Comment concevoir sans cela cette indifférence pour la formation de l’homme, quand on sait que de cette formation dépendent l’avenir de la nation et la grandeur de la race ? Que le moyen âge ait été tout près d’ériger en maxime pédagogique le mépris du corps[1], cela se comprend, puisque sa tendance était de placer hors de ce monde l’idéal de la vie et d’offrir les biens éternels comme but suprême aux efforts des vivants. Mais que dans un temps où la concurrence est si âpre et si universelle, où toutes les forces sont nécessaires pour parvenir, où la vie est sans cesse assimilée à une bataille, on néglige toute une portion de l’être humain ; que l’on ne cherche qu’à meubler l’esprit, sans tremper le caractère ni développer l’équilibre corporel, c’est là ce qui est fait pour confondre l’imagination.
Et pourtant cela est ainsi. Personne, durant de longues années, ne s’est avisé que le lycée était une honnête pépinière de fonctionnaires consciencieux, routiniers, condamnés à la médiocrité, faits pour être conduits. Ceux qui s’occupaient de pédagogie ne semblaient point se douter qu’on y pût quelque chose ; ils publiaient des ouvrages incroyablement vides, sans souffle, sans génie, sans origina-
- ↑ Encore sait-on combien virile fut l’éducation des chevaliers qui étaient les « dirigeants » d’alors.