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plus intense du mot. J’ai réclamé tout à l’heure pour que la bicyclette fut considérée comme relevant de cette catégorie ; il va de soi que le ski en relève également. L’un et l’autre sont des sports d’équilibre et aussi des sports d’excursion. Virtuoses de la vitesse et de l’endurance, ceux qui tournent indéfiniment dans l’affolant ovale du vélodrome ; virtuoses de l’habileté et de l’à-propos, ceux qui exécutent sur des pentes ardues les slalom et les telemark les plus compliqués. Mais, en vérité, le skieur et le cycliste sont, avant tout, des touristes par destination et, sous cet angle seulement, la gymnastique utilitaire doit les envisager.

Il ne faut pas croire que le tempérament excursionniste, si l’on peut employer une telle expression, se superposera de lui-même au tempérament virtuose. Le fignolage habituel au second empêche de s’enraciner chez le premier les tendances à l’audace, à la nouveauté, à l’esprit d’initiative et aussi à la persévérance, aux habitudes d’observation et de réflexion prudente qui font le solide et entreprenant touriste.

Le patin est infiniment moins « utilitaire » que le ski. C’est en somme un engin de pur agrément. Mais c’est un maître excellent en perfectionnement corporel par les équilibres rythmés qu’il provoque.

Vélo, auto, ski… l’expérience seule y donne la maîtrise. Acquérir cette expérience n’est pas à la portée de tous. Mais pour être à même de lire, il faut connaître l’alphabet. De même, pour profiter du perfectionnement, lorsqu’il s’offre, il faut avoir fait à temps son premier apprentissage. Voilà le grand principe qui est le fondement essentiel de la gymnastique utilitaire et qui, parce qu’il dérange des mentalités et des habitudes établies, a mis si longtemps à s’imposer. L’alphabet des exercices concourant au sauvetage, à la défense et à la locomotion, telle est de nos jours la base de l’éducation physique de l’adolescent normal. Plus tard on s’étonnera d’avoir tant tardé à le comprendre. L’enfant illettré entre les mains duquel on placerait un Victor Hugo ou un Loti serait bien avancé. Avant de faire usage du langage raffiné, on fait usage du langage élémentaire. En sport, la gradation est la même. Mais à quoi bon apprendre les éléments d’un exercice dans lequel on n’aura pas le moyen de se perfectionner ?… Voilà l’objection d’autrefois. À cet « à quoi bon ? » le temps présent répond : à devenir un débrouillard éventuel.