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Les Assises philosophiques de l’Olympisme moderne

d’officiant de la religion musculaire. De même, je conçois l’olympisme moderne comme constitué en son centre par une sorte d’Altis morale, de Burg sacré où sont réunis pour affronter leurs forces les concurrents des sports virils par excellence, des sports qui visent la défense de l’homme et sa maîtrise sur lui-même, sur le péril, sur les éléments, sur l’animal, sur la vie ; gymnastes, coureurs, cavaliers, nageurs et rameurs, escrimeurs et lutteurs — et puis à l’entour toutes les autres manifestations de la vie sportive que l’on voudra organiser… tournois de football et autres jeux, exercices par équipes, etc… Ils seront ainsi à l’honneur comme il convient, mais en second rang. Là aussi les femmes pourraient participer si on le juge nécessaire. Je n’approuve pas personnellement la participation des femmes à des concours publics, ce qui ne signifie pas qu’elles doivent s’abstenir de pratiquer un grand nombre de sports, mais sans se donner en spectacle. Aux Jeux olympiques leur rôle devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs.

Enfin un dernier élément : la beauté, par la participation aux Jeux, des Arts et de la Pensée. Peut-on en effet célébrer la fête du printemps humain sans y inviter l’Esprit ? Mais alors surgit cette question si haute de l’action réciproque du muscle et de l’esprit, du caractère que doivent revêtir leur alliance, leur collaboration.

Sans doute l’Esprit domine ; le muscle doit demeurer son vassal mais à condition qu’il s’agisse des formes les plus élevées de la création artistique et littéraire et non de ces formes inférieures auxquelles une licence sans cesse grandissante a permis de se multiplier de nos jours pour le grand dommage de la Civilisation, de la vérité et de la dignité humaines, ainsi que des rapports internationaux.

Sur le désir qu’il m’avait été donné de formuler, je sais que les Jeux de la xie Olympiade s’ouvriront aux accents incomparables du Finale de la ixe Symphonie de Beethoven, chanté par les masses chorales les plus puissantes. Rien ne pouvait me réjouir davantage car ce Finale a commencé dès l’enfance de m’exalter et de me transporter. Par ses harmonies, il me semblait communiquer avec le Divin. J’espère que, dans l’avenir, les chants choraux si bien faits pour traduire la puissance des aspirations et des joies de la jeunesse accompagneront de plus en plus le spectacle de ses exploits olympiques. Et j’espère de même que l’Histoire prendra aux côtés de la Poésie une place prépondérante dans les manifestations intellectuelles organisées autour des Jeux et à leur occasion. Cela est naturel car l’Olympisme appartient à l’Histoire. Célébrer les Jeux olympiques, c’est se réclamer de l’Histoire.

Aussi bien c’est elle qui pourra le mieux assurer la Paix. Demander aux peuples de s’aimer les uns les autres n’est qu’une manière d’enfantillage. Leur demander de se respecter n’est point une utopie, mais pour se respecter, il faut d’abord se connaître. L’histoire universelle telle que désormais on peut l’enseigner en tenant compte de ses exactes proportions séculaires et géographiques, est le seul véritable fondement de la véritable paix.


Parvenu au soir de ma journée, j’ai profité de l’approche des Jeux de la xie Olympiade pour vous exprimer mes vœux avec mes remerciements et, en même temps, vous dire ma foi inébranlable dans la jeunesse et l’avenir !


Pierre de Coubertin.

Lausanne, Août 1935.