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Page:Coubertin - Lettre à S.E. le Président du Conseil de la Société des Nations, 1933.djvu/5

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Monsieur le Président,

Lors de l’entretien que j’ai eu l’honneur d’avoir avec vous, Votre Excellence a bien voulu approuver que je lui expose sous la forme d’une « lettre ouverte » les éléments de la question qui, à mon sens, domine à l’heure actuelle toutes les autres et à laquelle il semble impossible que la Société des Nations continue plus longtemps de demeurer étrangère.

En terminant le discours inaugural de la xive Session de l’Assemblée de la Société, Votre Excellence a évoqué le souvenir d’un homme d’État décédé, lequel appelait de ses vœux le jour heureux où l’on « enseignerait aux enfants l’amour de la Paix » et où on leur apprendrait à « estimer les autres peuples ».

Ce serait se préparer à une grave déception pédagogique que de s’employer à enseigner directement aux enfants l’amour de la Paix. La guerre est une réalité sinistre mais concrète ; la paix entre les peuples, un équilibre complexe que des mentalités encore informes ne peuvent saisir sinon sous des aspects primaires et dépourvus d’assises réfléchies. La paix internationale est fille de la modération et de la tolérance, vertus étrangères à l’enfance normale. Les enfants — les garçons tout au moins — sont des combatifs et il est nécessaire qu’ils le soient. Si d’aventure on parvenait à leur enlever toute occasion de satisfaire un tel instinct, on n’aboutirait le plus souvent qu’à préparer une adolescence dépourvue de caractère et d’énergie. C’est, par ailleurs, une observation constante que les tentatives pour orienter l’enfance vers une généralisation mentale telle que le Pacifisme provoque des réactions ultérieures en sens contraire.

Il en va autrement du développement d’une « estime réciproque entre les nations ». Mais cette estime ne saurait naître et s’affirmer qu’avec la connaissance et par elle. Or, contrairement à ce que l’on cherche à se persuader en certains milieux, la connaissance à cet égard n’est nullement en progrès. Et si elle n’existe pas chez les adultes, comment la répandrait-on dans les rangs de la jeunesse ?