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où va l’europe ?

innombrables fondations scientifiques ou charitables furent presque toujours intelligemment conçues et exécutées. Les universités, les bibliothèques, les institutions sociales du Nouveau Monde en reçurent la plus féconde impulsion. Ce ne fut malheureusement pas ce dont les Européens s’inspirèrent ; ils copièrent sa passion du gain, son esprit de domination, la rudesse de ses audaces mais non point l’ampleur de ses largesses ni son souci du bien public. Ainsi naquit ce type nouveau qui allait jouer un rôle de premier plan dans les événements prochains : le milliardaire européen : arriviste forcené, grisé par sa propre ambition, de plus en plus dépourvu de scrupules et confondant sa conscience avec son coffre-fort.

La femme de l’enrichi transatlantique (pour autant qu’elle fréquentât le vieux monde) y fit des ravages non moins considérables. Par elle s’installa la coutume du mouvement perpétuel en toilette d’apparat qui, au temps de la bonne société, eût semblé une double faute contre le goût. Par elle vinrent les bijoux arborés dès le matin et l’obligation de se « montrer » tout le long du jour partout où il y a la moindre chance d’être vue. Les hautes classes d’Europe se corrompirent avec une promptitude édifiante, ce qui les conduisit à gémir de la « démoralisation populaire ». Les petites mondanités engendrent volontiers de grandes conséquences. C’est le cas notamment quand la parade continue s’érige en obligation sociale. Rien ne provoque plus sûrement au vice et au mensonge.

De pareilles transformations, pour rapides qu’elles aient été cette fois, sont tout de même lentes à se révéler, sinon aux attentifs. L’opinion, la presse d’alors, préoccupées de romans et de scandales, n’y furent guère sensibles. Nulle voix ne protestait qu’isolément. L’Asie demeurait muette et soupçonneuse. L’Afrique indigène s’ignorait encore et à sa périphérie s’écrivaient çà et là, au Maroc principalement, des pages de saine colonisation.

L’Europe ne doutait donc point de la solidité de son préceptorat. Elle ne doutait pas surtout de la légitimité de ses titres à l’exercer.