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l’ère des vice-rois

l’expérience qu’elle va tenter serve à l’éclairer sur la seule solution rationnelle et sûre de son problème gouvernemental.

Le grand danger qui menace la Russie, non point immédiatement mais dans un avenir plus ou moins proche, c’est l’impossibilité certaine de continuer à être gouvernée par les méthodes actuelles. Un empire d’une pareille étendue, des mises en valeur aussi colossales, une Église aussi centralisée, des intérêts aussi complexes, des devoirs aussi variés, tout cela ne saurait longtemps rester concentré entre les mains d’un seul homme même servi par des ministres habiles et fidèles. Il faut pourtant que cette concentration subsiste parce que le génie russe s’y reflète et s’y complaît. Ce n’est pas à l’heure où les institutions parlementaires s’effritent lamentablement à travers toute l’Europe que la Russie va leur confier ses destins, et il n’apparaît pas qu’elle tienne en réserve le secret de quelque système représentatif encore inédit. Ceux-là qui les connaissent mal prétendent que les Russes sont mécontents. Vaste erreur ! Ils sont heureux et satisfaits. Le despotisme — puisque nous désignons sous ce vocable impropre le régime en vigueur chez eux — le despotisme leur plaît mais, à une condition, c’est qu’ils puissent avoir toujours accès auprès de celui qui l’exerce. Leur répugnance à participer à la direction des affaires publiques a persisté à travers les siècles ; ils sont bien les fils de ces paysans riches qui envoyèrent dire au Normand Rurik : « Notre pays est grand et prospère ; venez régner sur nous. » Quand il eut « refait un tsar » et placé sur le trône sans titulaire Michel Romanof, Kosma Minine, l’héroïque boucher de Nijni-Novgorod rentra chez lui pour veiller tranquillement à ses affaires. Et hier encore, ne voyait-on pas le gouvernement compléter d’office le conseil municipal de Saint-Pétersbourg que les électeurs ne se donnaient pas la peine de former ?