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l’ère des vice-rois

devient de jour en jour plus impossible de l’atteindre. Et au lieu de vice-rois prestigieux en contact direct avec l’empereur, ce sont trop souvent des chefs de bureau aux mains vénales qui examinent et décident.

Rien assurément n’est plus extraordinaire en Napoléon que la variété géniale de ses décrets quotidiens et l’imperturbable sûreté de son coup d’œil. Cet homme qui, du bout de l’Europe, pourvoyait entre deux batailles à l’institution de la Comédie-Française ou refrénait les audaces intempestives de la direction des Gobelins demeurera, devant l’histoire étonnée, un vivant phénomène. Qui se flatterait de lui ressembler ?… Confiez pourtant à Napoléon ressuscité le gouvernement de toutes les Russies avec ses responsabilités religieuses, ses obligations traditionnelles dans les Balkans, ses travaux sibériens, sa coulée nécessaire vers la Perse et le Thibet, — peut-être lui-même se sentirait-il surchargé. L’œuvre, en tout cas, serait à sa taille et, nous avons le droit de le dire, une œuvre à la taille de Napoléon n’est point normale ; la nation dont le chef héréditaire se trouve en présence de tâches semblables doit en concevoir de l’inquiétude et sentir qu’il faut à tout prix en alléger le poids.

Heureuse Russie, après tout, si elle n’a d’autres soucis que d’être trop grande, de voir s’ouvrir devant elle un avenir trop vaste, de posséder des clients trop nombreux et de devoir gérer trop d’affaires à la fois ! Elle ignore encore les loyalismes branlants et la sèche incrédulité, la tyrannie des assemblées et les défaillances des pouvoirs élus. On ne distend pas ses rouages militaires avec des théories idylliques ; on n’ébranle pas son crédit financier par des concessions collectivistes.

Et pour détourner l’unique menace dont elle ait à s’émouvoir… il suffirait de quelques vice-rois !