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l’œuvre de paix

interprétations de clauses d’un traité, etc., ces querelles-là seront soumises d’office à un tribunal permanent, sans qu’il y ait d’entente préalable à négocier ni de juges à choisir. La belle avance, si les questions qui touchent à l’honneur et aux intérêts vitaux des nations sont soustraites à cette procédure ! Or, le texte de la convention le dit expressément et, depuis lors, un Livre jaune fort instructif a montré que les deux gouvernements s’étaient trouvés d’accord pour spécifier ces prudentes réserves.

Et comme il a donc bien fait, M. Delcassé, de partager à cet égard les méfiances de lord Lansdowne ! Serions-nous donc disposés à soumettre à un arbitrage quelconque — fût-ce celui de l’archange Gabriel — la question de Terre-Neuve ou celle d’Égypte ou celle du Maroc ?… pourquoi pas celle d’Alsace-Lorraine pendant qu’on y est ? Peut-être y a-t-il en France des amants de la logique assez épris de leur déesse pour lui faire de pareils sacrifices ; ce sont à coup sûr des logiciens mais non plus des Français.

Tout ce qui oppresse le présent et complique l’avenir échappe à l’arbitrage ; chaque jour qui s’écoule nous le fait mieux comprendre. Ni les libertés finlandaises, ni le rétablissement de la Pologne, ni l’émancipation de la Bohême, ni le conflit suédo-norvégien, ni le chaos austro-hongrois, ni l’agitation des Balkans, ni les rivalités d’Extrême-Orient, ni les complications qui peuvent naître au Thibet ou dans le golfe persique, ni les convoitises que peuvent exciter le canal de Suez ou le chemin de fer de Bagdad, — rien de tout cela n’est susceptible de se régler par sentence arbitrale ; et si, d’aventure, une telle sentence était rendue sur quelqu’une de ces questions « vitales » que, d’instinct, chacun prétend réserver, qui donc oserait affirmer qu’elle serait obéie ? Il faudrait pour cela que tout le monde eût désarmé et que, seuls, les braves messieurs de La Haye possédassent des mitrailleuses et quelques sous-marins : état de choses qui peut tenter le crayon d’un Caran d’Ache mais ne sera accepté par aucun cerveau pondéré.