Page:Coubertin - Pages d’histoire contemporaine.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
138
le sens critique

ception nationale y revêt des formes immuables et intangibles. Mille indices attestent de la sorte le lien qui rattache à la vie publique d’un peuple ses facultés critiques ; celles-ci vont se fortifiant par la superposition, l’accumulation, la répétition des mêmes sentiments, des mêmes spectacles, des mêmes impressions ; elles s’effritent au contraire et se désagrègent par l’émoi et l’incertitude que produisent les révolutions aussi bien que par les réfections successives et parfois contradictoires que nécessitent leurs excès. Pour nous dont l’existence collective depuis 1789 a été l’une des plus désordonnées et des moins raisonnables qu’aucun peuple ait jamais vécues, il est compréhensible qu’à travers nos jugements politiques se manifeste une absence de sens critique dont s’affligent parfois nos amis les plus sincères, nos admirateurs les plus enthousiastes. Mais si nous voulons continuer d’en manquer, il n’y a qu’une chose à faire, c’est de méditer sérieusement — et par là de préparer — quelque nouveau cataclysme. On y pense. Des gens qui estimaient, voici deux ans, la République dûment boulonnée sur sa base n’ont plus aujourd’hui la même confiance ; d’autres qui se sentaient irrésistiblement hostiles à toutes les solutions césariennes les envisagent maintenant avec une indulgence renaissante.

Cela encore démontre jusqu’à l’évidence le défaut de sens critique. Eh quoi ! jeter bas la maison parce qu’à l’usage certains inconvénients s’y sont révélés, parce que telles pièces se commandent, qu’ici un corridor est trop étroit ou là, un plafond trop bas ? Il serait si simple d’étudier les améliorations nécessaires en cherchant à les opérer au plus juste prix, — ou même d’ajouter quelque annexe, simple et commode, au bâtiment principal. Et puis encore, êtes-vous certains que ce soit la faute des institutions et non des hommes qui les appliquent ?…

Où en seraient à présent la puissance de l’Angleterre, celles de la Russie ou de la Prusse si de tels instincts avaient prévalu au temps des mauvais souverains et des ministres incapables ?