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le dilemme

les trônes consolidés, parce qu’au lieu d’un fragile soubassement aristocratique ils reposent d’aplomb sur les passions populaires, apportent à cet état de choses imprévu le prestige des vieux passés vénérables… Mais les rêveurs ne voient rien ; chantant des hymnes à la Paix et à la Justice, leur phalange effeuille des roses sur les flancs d’un volcan qui frissonne déjà dans l’aube menaçante.

L’Europe centrale prête pour une tragédie suprême, le grand duel des Teutons et des Slaves devenant chaque jour plus inévitable, les États-Unis poussés à la présidence effective de cet empire britannique dont l’Angleterre semble condamnée à n’exercer plus tard que la présidence honoraire, une Chine à dépecer, une Afrique à mettre en valeur, des chemins de fer qui vont courir de Paris à Pékin, de Vienne à Bombay, du Cap au Caire, et demain de Saïgon à Vladivostock et de Dakar à Zanzibar, — tels sont les faits de premier plan devant lesquels s’effacent momentanément les problèmes, hier si troublants, de l’organisation du travail et des rapports sociaux.

Que fera notre France ? Elle n’a pas perdu son temps : elle possède une armée puissante, une flotte de valeur, un empire colonial objet de bien des convoitises secrètes. Mais, simplistes et mal informés, ses fils comprennent mieux la politique tintamarresque de Napoléon que le sagace opportunisme d’Henri IV ; Louis XIV leur dissimule Colbert ; ils répètent l’humiliante sottise de Voltaire dédaigneux des arpents de neige canadiens et feraient assez bon marché des arpents de sable que leur conquirent un Brazza, un Courbet, un Jules Ferry. Beaucoup d’entre eux se sont informés de la Martinique au lendemain du désastre et ignorent encore le pont du fleuve Rouge ou l’exposition d’Hanoï.

Ne leur parlez pas, à ceux-la, de laisser les affaires du continent se débrouiller sans eux ; ils s’indigneraient. Ne leur conseillez point de tenir l’armée sur la défensive et d’organiser, à l’abri de cette défense, une marine d’offensive ; ils ne comprendraient point. Pour eux, la mission de