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toutes les russies

nous empêche de réaliser l’absolue nécessité d’une pareille solution. Nous ne comprenons pas encore qu’il y a là des passés épars à restaurer, des passés ensevelis mais demeurés vivants dans la tombe tout comme y vivait, sous l’oppression turque, le splendide passé grec. Esthonie, Livonie, Pologne, Lithuanie, quelles différences faisons-nous entre ces pays ? Nos manuels scolaires les confondent sottement sous le terme générique de Russie. La science occidentale a, sans le savoir, fait du zèle moscovite ; elle a été plus loin que le Tsar lui-même dans la proclamation d’une unité fictive ; elle l’a établie d’un trait de plume telle qu’on ne la conçoit pas même au pied du trône. Car le souverain s’intitule tsar de toutes les Russies ; toutes les Russies, c’est donc qu’il y en a plusieurs.

Il y en a beaucoup, effectivement, mais de toutes il était hier et sera encore demain, s’il le veut, le chef aimé, vénéré, incontesté. Nul prétendant ne formule en face de son pouvoir la protestation d’une dynastie rivale ; la république ne saurait vivre dans l’atmosphère si spéciale de ces régions, alors même qu’elle réussirait à y éclore. Par contre, un sentiment auquel il faut se garder d’attribuer des forces mystérieuses mais dont il ne convient pas non plus de négliger l’influence — la foi mystique en l’avenir slave — rassemble les cœurs de tous ses sujets par-dessus la barrière des intérêts présents et des hostilités anciennes. Tout ce que demandent ces peuples, c’est le droit de travailler au triomphe commun en conformité avec les croyances, les aspirations, les méthodes que leur ont léguées d’illustres ancêtres — et non plus sous la férule de fonctionnaires déracinés et dépravés, ignorants de ce qui les concerne, inaptes à respecter leurs traditions et à interpréter leurs besoins.

Cela se peut-il ? Et pourquoi non, puisqu’un pareil état de choses a déjà existé à l’aurore du siècle dernier et qu’il s’est effrité sous les atteintes de son auteur, de ce tsar Alexandre Ier si versatile, si sensible aux sautes de vent, si épris de systèmes contradictoires. Alexandre fut roi de Pologne et grand-duc de Finlande autrement que dans les