LES ÉTAPES D’UNE ILLUSION
Quand les Anglais célébrèrent, en 1887, le cinquantième anniversaire de l’avènement de la reine Victoria, la presse française les félicita avec aménité et leur donna à entendre qu’ils étaient parvenus à l’apogée de leur puissance. Le plus haut sommet se trouvait atteint ; au delà, il faudrait descendre et, d’abord, voir les colonies fausser compagnie une à une à la métropole ; elles devaient s’en détacher, « comme un fruit mûr se détache de l’arbre ». C’était l’image consacrée. On lui trouvait à la fois une saveur poétique et une précision scientifique. En ce temps-là, les Anglais eux-mêmes étaient convaincus de sa justesse et attendaient paisiblement que les fruits fussent mûrs. Cependant, la reine vivait toujours, et dix ans plus tard le monde étonné assista à un second jubilé. « Pour le coup, s’écrièrent nos journaux, c’est bien le dernier sommet, le dernier des derniers ; et vous en avez une chance, que les fruits aient tenu jusque-là ! Maintenant, attention ! ils vont dégringoler. » L’automne vient… et puis l’hiver.
Le premier jubilé avait été royal ; le second fut colonial. En 1887, les souverains et les princes héritiers d’Europe étaient accourus en grand nombre autour de leur doyenne, empressés à célébrer, avec elle, au soir d’un règne long et prospère, les bienfaits de la stabilité monarchique. En 1897, ils n’occupaient plus le centre du tableau ; à leur place se dressait l’Empire, représenté par des détachements de