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maison de poupée…

l’avenir. C’est la loi des individus et c’est aussi la loi des peuples.

En cela se révèle anormal le véritable esprit radical qu’il n’accorde aucune trêve à l’activité humaine, qu’il incite à aller — lentement, soit, mais sans arrêt — vers les points extrêmes, à suivre une idée jusqu’au bout, à réaliser une réforme jusqu’en ses conséquences ultimes. Or, les Norvégiens se sont choisi une forme de gouvernement qui, moins qu’aucune autre, s’accommode du radicalisme. La république et le césarisme peuvent vivre quelque temps imprégnés d’esprit radical avant d’en tomber victimes ; la monarchie parlementaire ne le peut pas. Elle se nourrit de nuances, de concessions, de combinaisons ; elle comporte même des reculs obligatoires et des torpeurs nécessaires, rançon des progrès féconds. Par là — à notre époque du moins et dans l’état de la civilisation contemporaine — elle a rendu des services incomparables parce qu’elle a su merveilleusement atténuer les contacts difficiles de principes contradictoires et ménager de douloureuses transitions entre des états de choses adverses. Ce régime justement et sagement préféré par eux, les Norvégiens sauront-ils le maintenir ?

Sur le continent — et plus loin, partout où l’on pense — a été lue ou représentée la fameuse pièce d’Ibsen, Maison de poupée. Vous vous en rappelez la conclusion. Inattendue, choquante pour la plupart des lecteurs ou des auditeurs étrangers, elle répond au contraire au sentiment des Norvégiens et les satisfait. Ils admettent que Nora quitte le domicile conjugal, abandonne son mari et ses enfants pour entreprendre de pallier aux lacunes de sa propre éducation ; dès qu’elle s’est rendu compte de ce qui lui manque à cet égard, sa résolution qui nous paraît contre nature leur semble logique ; ils plaignent le mari mais approuvent la femme. Voilà bien l’esprit radical. Le voilà dans sa pleine