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la résurrection des peuples

avaient péri pour donner la liberté aux six cent mille qui restaient. Ce sont là des chiffres qu’on ne saurait trop répéter ; ils sont, je crois, uniques dans l’histoire.

Tel fut l’effort guerrier : que dire de l’effort pacifique qui suivit ? Ces hommes avaient montré qu’ils étaient dignes de vivre libres ; ils n’avaient point établi qu’ils fussent les véritables descendants d’Athènes et de Sparte. Ils avaient prouvé leur courage, mais non leur origine. Longtemps on leur refusa la noblesse dont ils se prévalaient. Des visiteurs malintentionnés, des savants à l’œil myope relevèrent méchamment tous les traits qui pouvaient les différencier des grands ancêtres, tous les motifs qui pouvaient faire croire qu’une population slave avait totalement éliminé l’ancienne population hellénique. Un dédain facile, une ironie mordante agrémentèrent ces récits et ces raisonnements. On se moqua du petit royaume et de ses hautes prétentions. Nul ne s’avisait qu’il convînt de discerner entre les caractères permanents de la race et le vêtement douloureux dont l’avait revêtue un long et terrible esclavage. Ce vêtement, c’était comme le suaire de la Grèce ; sortie du tombeau, elle le traînait encore après elle, — il lui restait à s’en dépouiller. Qu’elle y soit parvenue, voilà peut-être de quoi s’étonner par-dessus tout. Et l’on ne sait ce qu’il faut admirer le plus de la résurrection matérielle, de la poussée géante qui la mit debout et fit rouler à ses pieds les dalles funéraires sous lesquelles on l’avait enfermée — ou bien de la résurrection morale, du renouveau printanier, de la montée de sève qui, si vite, lui rendirent sa physionomie propre et mirent à son front le reflet incontestable du prestigieux passé. Les disciples persistants d’About ou de Fallmerayer peuvent épiloguer maintenant sur les textes, ergoter sur les chiffres ou se répandre en descriptions cruelles, — une promenade dans Athènes, une excursion aux bourgades de l’Attique ou de l’Achaïe, un coup d’œil donné aux événements du règne de Georges ier suffisent à renverser l’échafaudage de leurs déductions et à mettre en relief la pauvreté de leurs satires. Car tout cela