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le problème de l’europe centrale

la masse de ces populations slaves qui, si longtemps, subirent le joug de la supériorité germanique et qui s’insurgent désormais à la pensée de le subir davantage. Cet abaissement d’une race forte est toujours dur à accepter même pour des vaincus ; mais cette fois-ci, par un paradoxe inouï, ce sont des vainqueurs qui doivent le supporter ; il coïncide, en effet, avec l’exaltation de la puissance allemande dans le monde ! Tout près d’eux, par delà une frontière fictive, ces sujets de François-Joseph aperçoivent l’empire d’Allemagne, leur empire, avec ses lauriers rutilants et ses riches horizons. Par quel phénomène contraire au bon sens voulez-vous que des hommes libres, placés dans de telles conditions, s’abstiennent de désirer leur réunion à une communauté qui symbolise la grandeur de leur race et incarne leurs brillantes destinées ?… Mais si vous étiez citoyen de Salzbourg ou de Linz, il y a cent à parier que vous travailleriez de bon cœur à cette œuvre grandiose !… et je ferais comme vous. Imagine-t-on, aux temps où Louis XIV et Napoléon Ier se trouvaient à l’apogée de leur gloire, des provinces françaises enclavées dans les péninsules Italienne ou Ibérique et résistant à l’attrait prestigieux des fleurs de lis ou du drapeau tricolore ?…

Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’ébahir devant le renseignement qu’apportait naguère l’un des plus austrophiles parmi nos écrivains, M. Chéradame. D’après ses calculs, si je ne me trompe, un tiers des Allemands d’Autriche (ils sont environ neuf millions) est acquis déjà à l’unité germanique ; un tiers demeure indécis ; le troisième est encore hostile. Cette estimation me paraît fort exacte : c’est donc que le mouvement n’est pas seulement amorcé, mais en pleine voie d’exécution. Un changement de règne ne pourrait que l’accentuer. Ne perdons pas de vue qu’en dehors du triple prestige dont l’auréolent son âge, sa sagesse et ses malheurs, François-Joseph reste un souverain allemand, très capable — il l’a montré à plusieurs reprises — de se porter en personne au secours du germanisme quand certaines de ses prérogatives sont attaquées. Son successeur ne saurait