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le prochain pontificat

nombre d’États républicains incités par l’exemple du plus puissant d’entre eux. Or l’Église passait pour inféodée à la monarchie ; on répétait volontiers que le destin du trône et celui de l’autel sont solidaires. Léon xiii dénia cette solidarité imaginaire ; il rappela que, nulle forme de gouvernement civil n’étant incompatible avec la pratique de l’Évangile, aucune n’a les préférences du Saint-Siège. L’Église semblait étrangère aux questions du jour, hostile même à ces problèmes sociaux pour lesquels notre génération se passionne si fort qu’elle en oublie parfois les vieilles luttes éternelles de l’orgueil et du lucre ; il la lança en plein mouvement ouvrier et réclama pour elle le droit de travailler à l’organisation des forces démocratiques. On lui reprochait enfin de se laisser guider avant tout par la haine des cultes dissidents : il déclara en termes inoubliables que les chrétiens devaient s’unir sans distinction de credo dans l’intérêt du bien public.

De telles initiatives ont remué la chrétienté jusqu’en ses assises les plus profondes et bien des jours se passeront avant que l’ébranlement salutaire qu’elle en a reçu ait achevé de produire tous ses fruits. Mais, précisément parce que cet ébranlement a été considérable et que l’effet s’en propagera longuement, il ne saurait être suivi d’émancipations nouvelles ; pour un temps les lourdes portes se sont refermées. L’intérêt de l’Église exige que le prochain pontificat soit une période d’arrêt dans les innovations, et si, d’aventure, quelque changement de direction s’imposait, ce serait vers le monarchisme moderne, vers les trônes consolidés et les hiérarchies restaurées que le pilote sacré orienterait le navire. L’Église peut sans danger lasser les impatiences d’avant-garde ; ceux de ses soldats qui s’égarent en éclaireurs imprudents et se perdent ne sont jamais bien nombreux ; ce qui serait grave pour elle, ce serait d’alarmer les timorés, les retardataires, — ceux-là constituent l’immense majorité. Une Église qui devance ses fidèles peut beaucoup peut-être pour le progrès de la pensée mais, en tant qu’institution, elle est condamnée à une prompte décrépitude.