plus qu’une mêlée tourbillonnante où ils ont l’air de vouloir s’assommer l’un l’autre… Dans les haies, sur les fossés tout autour du champ, il y a des spectateurs disséminés, puis un groupe plus compact entoure un piper aveugle célèbre dans le pays et qui joue ses vieilles ballades pour enflammer les combattants ; il a le costume classique, la culotte de velours marron, les longues guêtres jaunes et les souliers à boucle et la redingote ouverte sur une espèce de jabot grossier… Il s’est appuyé, à une de ces meules que les bêtes dévorent sur place et qui, construites autour d’un long pieu fiché en terre, descendent toute seule à mesure qu’on les mange… Les notes grêles de son instrument se perdent à trois pas de lui, mais il sait leur donner je ne sais quel charme mélancolique et poétique. Cependant la nuit tombe sur tout cela, non pas la nuit du bon Dieu, mais un noir fait de longues bandes cotonneuses qui descendent en biais donnant à toutes choses des contours plus troubles et plus confus.
Le jeu va bientôt finir ; une fois encore je jette la balle et en me conduisant vers l’endroit marqué, l’un d’eux m’annonce que ç’a été « a foïne play ». — Puis, pris d’enthousiasme il interpelle les autres : « Boys ! three cheers for the French Gentleman » et les cheers sont donnés. « Boys ! three cheers for his country[1] » et les clameurs recommencent car cheering est le principal plaisir des Irlandais… C’est fini ! j’ai gagné ; mon lieutenant vient me l’annoncer pompeusement… et la série des cheers recommence ; il y en a pour les vainqueurs, pour les vaincus, pour le landlord, pour les tenants et pour le curé. — Quand ils ont reçu de leur capitaine l’invitation de boire à l’amitié invétérée de la France et de l’Irlande et un souverain d’or pour fixer ses paroles dans leur mémoire en les imbibant de whisky, l’enthousiasme des joueurs est à son comble.
IV
Encore une légende ! Celle-ci est même une histoire si l’on en croit l’Irlandais qui me la raconte afin de me faire voir combien jadis l’Irlande était riche !
En ce temps-là les abbayes étaient aussi nombreuses que bien peuplées et les bons moines y vivaient très confortablement. À quatre milles (environ deux lieues) de l’Abbaye de Knockmoy (je jette les yeux sur Knockmoy dont les ruines se dressent solitaires et farouches dans un pré inondé ; le soleil en se couchant fait passer un rayon par les fenêtres pour mieux montrer la victoire du temps…… où en étais-je ?…) — à quatre milles donc de Knockmoy, il y avait une autre abbaye du même ordre et comme les prieurs étaient grands amis, on se
- ↑ Garçons ! 3 hurrahs pour le Français.Garçons ! 3 hurrahs pour son pays.