Page:Coubertin Ce que nous pouvons 1918.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 10 —

de ses sévérités anti-sportives et, bientôt, tolérer les tournois. Or ce serait une erreur de croire que les tournois soient demeurés le privilège exclusif de la classe noble. Je n’en veux pour preuve que cet amusant défi lancé en 1330 avec la permission du roi Philippe vi par les bourgeois de Paris à ceux de la province. Les provinciaux venus pour la plupart d’Amiens, de St-Quentin, de Reims, de Compiègne, se firent battre par les Parisiens. Ils étaient plus de 70 tous ensemble. Un maître des comptes de la capitale et un bourgeois de Compiègne se partagèrent les prix de vaillance que leur remit une jeune parisienne, fille d’un drapier. L’un de ces jouteurs avait d’ailleurs une jambe brisée et l’autre ne s’en était pas tiré sans de sérieux horions. Il y avait là, à coup sûr le goût du risque, donc un des éléments essentiels du sport. Mais c’était un sport rudimentaire, sans entraînement et sans organisation. Mêmes caractères dans ces homériques parties de soule — l’ancêtre du football — qu’organisait autour de son manoir du Cotentin le Sire de Gouberville et dont son journal privé nous rend un compte si pittoresque en sa simplicité. Les gouvernements d’alors ne semblent pas avoir approuvé ces mœurs. Édouard iii d’Angleterre interdisait à son peuple tout autre exercice que le tir à l’arc et Charles v de France, lui-même grand amateur de paume, en défendit la pratique à ses sujets. Il est certain qu’au Moyen-Âge l’instinct sportif se fût aisément développé en Europe. Mais la féodalité le comprima et l’Église, une fois détachée de la Chevalerie, revint à sa méfiance de la culture corporelle en laquelle elle semblait apercevoir un dangereux précurseur de l’indépendance de la pensée.