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Discours du baron de Coubertin


Mes chers Camarades,

Le dépit que j’éprouve de devoir renoncer à me rendre à votre appel égale en vivacité le plaisir que cet appel m’avait causé. J’en accuse le sport même, au nom duquel vous m’invitiez. La morale de mon aventure, c’est que lorsqu’on a pu atteindre sa soixante-quatorzième année sans sentir se rouiller ses articulations, il faut se garder de laisser interrompre (fut-ce pendant dix mois) la pratique des gammes musculaires usuelles. Le rameur qui a eu la chance de conserver jusqu’alors la souplesse de son attaque et de son dégagement doit veiller avant tout à tenir fermées aux ruses de l’arthrite les fissures par lesquelles elle cherche à s’introduire… Recueillez ainsi le fruit de mon expérience en cette matière, si tant est qu’on sache jamais profiter vraiment d’une autre expérience que la sienne propre.

Cela m’égaie un peu — me retrouvant par la pensée dans notre vieux réfectoire — de formuler cette petite réclame en faveur de l’incomparable gymnastique qu’est l’aviron sur un outrigger de course ou de demi-course. Oui, cela m’égaie parce que, avouons-le, le sport, il y a cinquante ans, ne fut pas en grande faveur près de nous, vos anciens, et qu’à l’exception de l’équitation et de l’escrime pratiquées d’ailleurs à doses rares et modérées, nous laissions alors aux Anglais qui s’y croyaient des titres exclusifs le droit de chercher à exceller dans les exercices du sport.

Cinquante ans !… Il y en avait quarante-huit le dix décembre dernier que j’osais faire au Président Carnot sur une pelouse du Bois de Boulogne les honneurs d’un premier match interscolaire de foot-ball ; jeu, avait écrit la veille le célèbre chroniqueur Francisque Sarcey « qui se joue avec des raquettes de bois et de petites balles très dures »… Non ! il ne se jouait pas ainsi ; mais l’important était de le répandre, non de le décrire.

Peu de mois plus tôt, Jules Simon à qui j’avais confié mon dessein de travailler au rebronzage de la France m’avait interrogé, un peu méfiant. Et combien faudra-t-il de temps disait-il de son petit air malicieux, pour rebronzer la France ? — vingt ans — La mesure se trouvant juste à son gré, le philosophe qui songeait d’abord à se défiler gentiment avait soudainement adhéré à mon appel, ainsi qu’il me le confia par la suite. De la sorte s’amorça l’entreprise. Et, vingt-cinq ans plus tard, la terrible guerre tombait sur nous, la guerre au sortir de laquelle mon ami le maréchal Lyautey me dit cette parole,