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société d’économie sociale (séance du 18 avril 1887).

pation est bordée de muraille entre lesquelles le regard est prisonnier et ces murailles cessent subitement. Les Anglais prennent soin au contraire d’enlever toute contrainte ; à peine au moment psychologique où l’adolescent devient homme une petite barrière lui indique-t-elle le danger du précipice ; car c’est un fait que chez eux si les écoliers sont plus libres, les étudiants sont moins libres que chez nous. Mais il importe de ne jamais cacher le monde aux enfants ; d’ailleurs cacher le mal, c’est le souligner, de même que mettre un rideau sur une peinture déshabillée c’est amener vos fils à le soulever et leur donner ainsi la notion de ce qui est défendu.

L’éducation doit être, je le répète, la préface de la vie. L’homme sera libre ; l’enfant doit l’être aussi. Il s’agit de lui apprendre seulement à user de sa liberté et à comprendre son importance. Tous ceux qui ont visité les collèges anglais, établis non pas isolément en pleine campagne, mais dans de très petites villes dont ils sont le centre, ont été frappés par un spectacle curieux ; c’est celui de tous ces enfants grands et petits, passant par escouades traversant les rues, entrant dans les boutiques, ou bien courant dans les champs ; jamais d’uniforme, cela sent la caserne : mais en fait ils sont tous vêtus de même, ce qui montre combien ils se soucient peu du plus ou moins d’élégance de leurs habits.

En donnant ici un rapide aperçu de leur journée scolaire je rendrai mieux compte de la liberté qui leur est laissée et de la façon dont ils en profitent. L’heure du lever c’est l’heure de la première classe ; on peut la devancer pour étudier aussi bien que pour se promener ; et en été les jeunes gens ne se font pas faute d’imiter le soleil et de courir dans la campagne dès l’aube ; en tous cas il n’y a point de sonnette pour vous réveiller brusquement, non plus que cet infâme quart d’heure ironiquement destiné à la toilette, laquelle s’opère en trempant le bout des doigts dans une petite soucoupe.

Les Anglais n’aiment pas les dortoirs, non pas seulement par raison hygiénique, mais parce qu’ils trouvent que la solitude et la propriété sont deux puissants moyens d’éducation : l’éternelle communauté des camarades que l’on impose aux enfants sous ce prétexte facétieux que c’est la vie — et rien n’est plus faux — leur pèse plus qu’on ne peut dire ; partout où l’émulation peut sortir du groupement, on les groupe avec avantage : pour les classes et pour les jeux ; à l’étude ou au dortoir l’émulation ne signifie plus rien. C’est pour cela que les petits Anglais ont leur chambre à eux la plupart du temps, ou au moins un petit retiro où ils travaillent ; les dortoirs alors sont formés de cases séparées qui peuvent donner jusqu’à un certain point l’illusion de la solitude. Au collège les garçons vivent ainsi entourés de menus objets qui leur rappellent le home et la