non, précise ou non, reconnue en tous cas et respectée de ceux-là même qui n’y conformaient pas leur conduite ; c’est que le corps est ennemi de l’esprit, que la lutte entre eux est un régime fatal et normal, que nulle entente ne doit être recherchée leur permettant de s’associer pour gouverner l’individu.
Ce retour ascétique (le mot est mauvais, j’en conviens mais il est encore le moins mauvais de ceux qui s’offrent) ce retour ascétique était il désirable pour le bien général ? Je n’hésite pas à répondre : oui… Je me souviens d’avoir contristé naguère un auditoire sportif en disant que si la métempsychose existe et que, par elle, je me trouve ramené dans cent ans à l’existence, on me verrait peut-être employer mon effort à détruire ce que dans mon existence actuelle, j’avais travaillé à édifier. Paradoxe, mais paradoxe sincère. C’est que l’Olympisme, doctrine de fraternité du corps et de l’esprit et l’ascétisme, doctrine d’inimitié entre eux ne sont jamais arrivées à se comprendre, donc à se respecter — et que renfermant l’un et l’autre des germes d’abus susceptibles de dégénérer en maux véritables, ils sont destinés à se heurter, à se succéder au pouvoir comme de simples partis politiques, absolus et violents. Seulement ici, il s’agit d’évolutions et d’alternances séculaires. Cette succession est utile faute de mieux. La modération, le juste milieu sont des utopies en toutes choses. La loi du pendule s’applique à tout. Le monde antique était beaucoup trop imbibé d’olympisme pour pouvoir fournir de nouvelles moissons, de même que celui d’hier était bien trop pénétré de l’idée ascétique pour être susceptible de fécondité sans s’être d’abord libéré de ce joug.
Le Moyen-âge fut, au regard de beaucoup, une période à tendances ascétiques prédominantes. Cela est plus vrai de la période pré-féodale que de l’époque féodale elle-même. En tous cas, c’est du sein de la société féodale que nous voyons surgir une restauration olympique nettement caractérisée : la chevalerie. J’ai hésité longtemps à proclamer cette parenté. Certes, elle n’apparaît pas au premier coup d’œil. Encore moins fut-elle sensible aux chevaliers eux-mêmes : ils ne s’en doutaient guère. Olympie n’existait pas pour eux. Pourtant, dès qu’on étudie leurs allures, qu’on cherche à scruter leurs mobiles, la passion sportive se révèle en eux ; bientôt on la voit couler à pleins bords. Alors l’Église apparaît et, par un étrange retour, elle contribue à rétablir ce qu’elle avait abattu. Dans un autre esprit, direz-vous. Sans doute, mais en bénissant les armes du chevalier, en donnant à son intronisation un pieux préambule, en colorant ses exploits d’une destination généreuse (car elle l’arme pour la justice et le droit et lui confie « la protection du faible, la défense de la veuve et de l’orphelin »), elle sanctifie, comme jadis la religion païenne, son entraînement et ses violences musculaires et les lui présente comme agréables à Dieu.
L’athlétisme christianisé ne se tint pas dans les limites que lui voulait assigner l’Église. La passion sportive s’empara de la jeunesse, la souleva, se répandit sur toute l’Europe occidentale, d’Allemagne en Espagne, d’Italie en Angleterre, la France servant de carrefour central au mouvement. Et assez vite il dégénéra.
Vous plaît-il de continuer avec moi la fiction de notre campement au lieu où nous étions venus nous installer pour contempler le panorama des âges disparus ? Imaginons que nous avons pique-niqué sur l’emplacement de l’exèdre d’Hérode Atticus et que la fumée de nos cigarettes est montée tout à l’heure en spirales comme pour aller rejoindre