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que soit elle. Aussi, je vous convie à vous en extérioriser avec moi et à venir vous asseoir sur les pentes boisées du Mont Kronion à l’heure où de l’autre côté de l’Alphée, le soleil levant commence d’ourler d’or les collines ondulantes et d’irradier à leurs pieds les prés verdoyants.

Ce spectacle, je l’ai goûté deux fois à trente-trois années d’intervalle. Un matin de novembre 1894, j’ai pris conscience en ce lieu sacré de l’énormité du labeur que je m’étais assigné en faisant proclamer cinq mois plus tôt le rétablissement des Jeux Olympiques interrompus depuis quinze cents ans ; et j’ai entrevu tous les aléas qui me guetteraient sur la route. Un matin d’avril 1927, j’ai attendu là, dans une sorte de pieux recueillement l’heure où allaient tomber sous la main du ministre de l’instruction publique les drapeaux grecs et français recouvrant le marbre étincelant érigé pour attester le succès. Et lorsqu’au cours de la cérémonie, il m’a fallu répondre à l’hommage du représentant du gouvernement hellénique, ma première pensée a été pour saluer ceux qui, dans la vie, n’ont pas réussi malgré leurs efforts parce que le destin a dressé contre eux ses embûches ; l’évocation de leur troublant cortège enseigne la modestie intérieure et le néant de ce que nous appelons le mérite…

De cette jolie forêt de pins qui escalade le Mont Kronion (réduction gracieuse et comme miniaturée du prestigieux Pentélique), on peut restituer les longues avenues de platanes par où venaient jadis les athlètes et les pèlerins, les ambassades et les marchandises, tout le trafic et toute l’ambition, tous les appétits et toutes les glorioles d’une civilisation à la fois complexe et définie, plus qu’aucune autre ne l’a été depuis. On peut restituer aussi les approches du temple, son perron et ses colonnades, et la multitude des édifices qui l’entouraient : ex-votos, oratoires, lieux d’offrande et de sacrifices… Tout de suite, l’Altis — l’enceinte sacrée — s’affirme comme un foyer religieux, un centre cultuel. Chez ce peuple, en ce temps surtout, on imagine mal une religion ne reposant pas sur une conception philosophique positive.

Cherchons donc la base de celle-ci. Et s’il y a eu vraiment une religion de l’athlétisme dont les autels se sont par la suite, et à plusieurs reprises, relevés plus ou moins gauchement, plus ou moins durablement, sachons pourquoi c’est en Grèce qu’elle s’est définie, et si l’idéal grec à cet égard convient encore au reste de l’humanité. Selon la réponse que nous donnerons à cette question, ou bien Olympie n’est qu’un splendide accident de l’histoire, ou bien elle représente une des assises puissantes du progrès humain. L’alternative, vous le voyez, est digne d’être examinée.

Qu’était-ce donc qu’un athlète antique comparé à celui que nous appelons aujourd’hui d’un nom joli, souple, élégant, mais infiniment moins profond : un sportif. La même définition de leur idéal ne peut-elle servir ?… Voici celle que donnait en 1913, lors du premier Congrès de psychologie sportive qui s’y tenait, le professeur Millioud, de l’Université de Lausanne : « Le sport est une forme d’activité musculaire allant du jeu à l’héroïsme et susceptible de remplir tous les degrés intermédiaires ». C’est là, si j’ose ainsi dire, une définition philosophique. En voici une moins éloquente, plus technique. C’est celle qui figure en tête de mon petit manuel de Pédagogie sportive : « le sport est le culte volontaire et habituel de l’exercice musculaire intensif appuyé sur le désir du progrès et pouvant aller jusqu’au risque ». Donc cinq notions : initiative, persévérance, intensité, recherche du perfectionnement, mé-