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d’un océan à l’autre ; leur superficie avait quintuplé en quarante-cinq ans ; ils prenaient rang parmi les plus grand pays du monde. Le Kentuckien, ouvrier obscur de cette œuvre immense, eut pour porte-parole, au Sénat fédéral, le célèbre Henry Clay auprès duquel siégeaient Webster et Calhoun, tous épris du même rêve de grandeur nationale.

Tels sont, résumés avec une hâte dont je m’excuse, les principaux éléments de cet idéal de rénovation universelle qui a marqué si profondément l’âme américaine, de cette croyance durable et répandue que les États-Unis ont été désignés par la Providence pour exercer une action supérieure et laisser dans l’histoire une trace indélébile.

Les circonstances ont grandement contribué à fortifier cette idée. Il s’est produit une suite d’événements qui ont été, pour le peuple américain, des sortes de leçons de choses.

En premier lieu, l’ampleur et la continuité de sa fortune. Nous ne nous rendons pas bien compte du contraste que présente l’histoire des États-Unis avec celles des autres nations, non seulement parce que nous songeons rarement à l’étudier, mais surtout parce que, lorsque nous l’étudions, c’est par lambeaux, si l’on peut ainsi dire, — et de la sorte, nous n’apercevons pas l’étourdissante rapidité avec laquelle la puissance américaine a été édifiée. L’Américain, qui procède autrement, est saisi par ce contraste. Il connait bien son histoire et sitôt qu’il la compare aux lentes évolutions, aux alternatives de grandeur et de décadence des nations européennes, la certitude s’affermit en lui que son pays n’est point semblable aux autres. D’autant que ce ne sont pas les épreuves et les difficultés qui ont manqué. Vingt fois, l’unité aurait dû périr : il n’est sorte de révolutions et de désordres qui n’aient failli éclater : tour à tour, la conquête, la banqueroute, l’anarchie, la guerre civile, le militarisme, le fonctionnarisme, la corruption, les crises économiques ont menacé la prospérité et souvent l’existence même de la nation. Et toujours elle est sortie de l’épreuve, grandie et fortifiée. Aux jours des plus grands périls, deux hommes providentiels lui ont été donnés. Le mot n’a rien d’exagéré. Washington et Lincoln furent vraiment les hommes providentiels en ce sens qu’on découvre en eux cette sorte de génie qui s’adapte exactement aux circonstances et ne semble fait que pour accomplir une œuvre donnée, généralement une œuvre de redressement ou de réparation, en sorte qu’ils ne laissent derrière eux que des bienfaits ; ce ne fut point là le génie de Napoléon, ce fut celui de Jeanne