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du temps de Cervantes on ne pouvait parler de la mort sans les citer[1].

Et qu’une âme impériale
Aussi tost là bas dévale
Dans le bateau de Charon
Que l’âme d’un bûcheron[2],

c’est ce qu’avaient répété Ronsard et tous les poètes français. Comme tous les grands écrivains qui dans tous les genres ne réussissent qu’en suivant les chemins foulés déjà par beaucoup d’autres, Malherbe a fait oublier en ce point tous ces prédécesseurs : c’est qu’en réalité il a dit quelque chose de plus qu’eux tous en parlant de la mort :

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois ;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N’en défend point nos rois[3].

Il ne s’agissait donc plus du roi dans sa tour, ni d’âme impériale : c’était de nos rois que parlait le poète, c’était des barrières du Louvre, c’était du pauvre en sa cabane, que Malherbe avait regardé avant La Bruyère : ici, encore une fois, il nationalisait la poésie antique comme il avait fait la philosophie. Et comme une idée ne nous

  1. Don Quichote, Prologue.
  2. Ronsard, II, 269.
  3. La comparaison du passage d’Horace et de la stance de Malherbe a fort occupé les critiques du XVIIe siècle ; chacun des deux poètes avait ses champions (Balzac, Entretien XXXI ; Ménage, o. c., 565 et 566). — Remarquons que Malherbe a dit dans une autre pièce (Aux Ombres de Damon, I, 58) :

    C’est un point arrêté, que tout ce que nous sommes,
    Issus de pères rois ou de pères bergers,
    La Parque également sous la tombe nous serre.