Page:Counson - Malherbe et ses sources, 1904.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 25 —

Justin et Tacite ; plus tard Saint-Évremond, dans ses Réflexions sur les Romains, devancera Montesquieu ; et n’a-t-on pas écrit un gros livre sur « le grand Corneille historien » ? Mais, si le poète s’attache à la froide raison, s’il n’est qu’un esprit juste ou même profond qui a le sens exact des choses et des hommes, de la vie publique et de l’histoire, où sera la poésie ? Elle sera dans l’élévation de la pensée, dans la généralisation des idées, dans les vers bien frappés, dans les sentences lapidaires, dans la beauté des discours, c’est-à-dire que la poésie, ce sera l’éloquence, et que le poète sera le meilleur des orateurs. C’est ce que disait le panégyriste d’un des maîtres de Malherbe, poète latin et professeur d’éloquence et de droit : « On eust dit qu’il estoit orateur afin d’estre très bon poète, et qu’il estoit poëte afin d’estre très éloquent orateur[1] ». Ainsi la poésie ne sera qu’une prose plus soignée, plus mesurée, plus éloquente que l’autre, mais ni moins raisonnable ni moins raisonneuse. C’est ainsi que l’entendent les Normands d’alors : en Malherbe, Vauquelin vante l’éloquence[2] et, avant que Mathurin Régnier reprochât à l’ennemi de Desportes de « proser de la rime et de rimer de la prose », Vauquelin avait dit

Que notre poésie, en sa simplesse utile,
Était comme une prose en nombres infertile[3].

  1. Oraison funèbre de Jean Rouxel, professeur d’éloquence et de droit à Caen, prononcée en latin par Jacques de Cahaignes, traduite par Vauquelin de la Fresnaye (Cf. Gasté, La jeunesse de Malherbe, p. 18).
  2. Vauquelin de la Fresnaye, Art Poétique, III (éd. Travers, I, p. 105)
  3. Ibid., II (éd. Travers, I, 71). De même Corneille dit de ses
    premières comédies qu’il apprit à y faire « un sot en vers d’un
    sot en prose » (À Mr D. L. T., v. 54).