Malherbe, qui sent que « l’apathie des Stoïciens n’est
pas en lui[1] », dit en effet à La Garde :
Non, Malherbe n’est pas de ceux
Que l’esprit d’enfer a déceus
Pour acquérir la renommée
De s’être affranchis de prison
Par une lame ou par poison
Ou par une rage animée[2].
Ainsi, en répondant en quelque sorte à la doctrine
qu’il a si souvent lue, il se souvient des suicides glorifiés
dans les Épîtres qu’il avait traduites, du poignard de
Caton et du breuvage empoisonné de Socrate, « qui de la
prison le fit monter au ciel : tellement que, quand j’ai
désiré une vie honnête, j’ai par même moyen désiré… le
poignard… et le poison[3] ». La philosophie de Sénèque ne
l’a conduit ni à renoncer aux biens de ce monde, ni à
singer Caton, mais elle a laissé dans son esprit des traces
ineffaçables, et il s’en est ressenti dans toute son œuvre
littéraire.
Quand on a pris à un écrivain sa façon de comprendre le monde et la vie, c’est bien le moins qu’on puisse faire d’accepter ses jugements en matière d’art et de littérature. En ce point encore, Malherbe est l’élève de Sénèque, et le mot le plus fameux, ou plutôt le plus caractéristique, qu’il ait prononcé sur la poésie, il l’a trouvé dans l’épître 95 : « Voyez-vous, disait-il souvent à Racan, si nos vers vivent après nous, toute la gloire que nous