Page:Courant - Souvenir de Séoul, Corée.djvu/12

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patriotisme inintelligent qui l’a remplacée par un lourd monument de style prétendu européen, mais que j’appellerais bien plutôt barbare, alors qu’il était si facile d’enlever l’écriteau malencontreux et d’y en substituer un qui fut approprié à la politique nouvelle. Mais le vandalisme est de tous pays.

S’ils apprécient la nature et la savent encore embellir, les Coréens savent aussi la transporter sur le papier ou la soie par la broderie et la peinture : un paravent brodé, placé à gauche dans la salle coréenne, une vitrine entière d’albums peints donneront une idée de cet art coréen, plus vivant, plus observateur que l’art chinois des derniers siècles, sans atteindre à la fantaisie, à la richesse, à la vérité sobre de l’art japonais. Je n’ai pas vu, à côté des peintures, de produit de l’art sculptural coréen ; cependant, j’ai eu parfois l’occasion de contempler tel Bouddha de bois doré, dont le visage exprime avec une profondeur rare la mansuétude et la pitié. Mais cette partie de l’exposition coréenne mériterait plus qu’une mention rapide ; je souhaiterais qu’un catalogue fût dressé et enrichi de reproductions de celles de ces peintures qui sont au Champ-de-Mars, de celles bien peu nombreuses que l’on pourrait encore trouver autre part dans les collections ; ce serait un premier document pour servir à l’histoire des arts dans ce pays, dont les maîtres, aux viie et viiie siècles, ont été les premiers initiateurs des Japonais.

Il me reste à parler des livres coréens : plusieurs vitrines leur sont consacrées, et c’est justice. Beauté du papier, épais, résistant, de trame cotonneuse, parfois mat, parfois poli, et d’un ton d’ivoire ; grandeur des formats ; tracé élégant, sobre et plein des caractères qui flattent l’œil, et sont véritablement parlants ; illustrations encore un peu raides et hiératiques, mais souvent bien simples et gracieuses. Il m’est revenu que ces vitrines ont été, pour quelques amateurs bibliophiles, une révélation. Le public, en effet, ignorait jusqu’ici qu’il y eût en Corée une imprimerie et une littérature florissantes, mais ce n’est pas ici la place de répéter à ce sujet ce que j’ai déjà dit ailleurs[1]. Je rappellerai seulement que les Coréens ont imprimé au moyen de planches gravées avant le xe siècle, qu’en 1403 et peut-être plus tôt, ils ont inventé les types mobiles, que des collections européennes, celle de l’École des Langues orientales, par exemple, due en grande partie à M. Collin de Plancy, renferment de nombreux et intéressants ouvrages coréens.

S’il est une leçon à tirer de l’exposition coréenne, n’est-ce pas une leçon de modestie ? Voilà un peuple peu nombreux, peu fortuné, dont l’histoire extérieure depuis plusieurs siècles ne compte guère que des invasions subies et repoussées avec peine ; à travers toutes ces difficultés, il est resté lui-même, il a conservé les arts et la civilisation reçus jadis de la Chine et enseignés par lui au Japon. Il y a peu d’années, l’Europe l’ignorait et, avec son orgueil habituel, l’aurait volontiers traité

  1. Bibliographie coréenne, tableau littéraire de la Corée, par Maurice Courant, 3 volumes grand in-8 (Paris, Ernest Leroux, 1894-1896).