Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/112

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ne trouveraient pas leur place, et où l’on se bornerait à décrire des plantes, des animaux, des roches, des chaînes de montagnes, sans rien dire des rapports des êtres entre eux, des parties au tout, et de la manière d’entendre la raison de ces rapports ? C’est ici qu’il devient nécessaire de distinguer profondément la connaissance scientifique, fondée sur l’observation des faits et la déduction des conséquences, d’avec la spéculation philosophique, qui porte sur l’enquête de la raison des choses. Toute la suite de cet ouvrage tendra à faire ressortir de plus en plus cette distinction capitale entre la science et la philosophie, à tâcher de faire la part de l’une et de l’autre, et à montrer que ni l’une ni l’autre ne peuvent être sacrifiées sans que ce sacrifice n’entraîne l’abaissement de l’intelligence de l’homme et la destruction de l’unité harmonique de ses facultés.

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Or, comme il est de la nature de la spéculation philosophique de procéder par inductions et par jugements de probabilité, non par déductions et par démonstrations catégoriques, il doit arriver et il arrive que la probabilité traverse des degrés sans nombre : que parfois la raison est irrésistiblement portée à voir, ici la conséquence d’une harmonie préétablie, là le résultat de la multiplication indéfinie des combinaisons fortuites ; tandis qu’en d’autres cas elle flotte indécise, inclinant à se prononcer dans un sens ou dans l’autre, par suite de dispositions qui peuvent varier avec les habitudes intellectuelles, l’état des lumières et les impressions venues du dehors. Quand on voit que le Soleil, centre des mouvements planétaires, qu’il domine et régularise par l’énorme prépondérance de sa masse, et à la faveur des grands intervalles que la nature a mis initialement entre les distances des planètes, est aussi le foyer de la lumière qui les éclaire et de la chaleur qui y développe le principe de vie, on ne peut méconnaître l’admirable ordonnance qui fait concourir harmoniquement, à la production de ces beaux phénomènes, des forces naturelles, telles que la gravitation, la lumière, etc. ; qui, lors même qu’elles pourraient être considérées comme autant d’émanations d’un seul principe, n’en seraient pas moins caractérisées, en tant que principes secondaires, par des lois distinctes ayant entre elles la même indépendance que des ruisseaux issus d’une même source, et qui, après le partage de leurs eaux,