Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/134

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au sens du mouvement se trouve tranchée, mais nous acquérons la certitude que le système des lieux optiques des étoiles, ou ce qu’on nomme la sphère céleste, n’est qu’un phénomène (87), une image sui generis, tellement différente de la réalité que l’image brillerait encore à nos regards plusieurs années après que l’objet qu’elle nous représente aurait cessé d’exister. Et pourtant, quoiqu’il nous soit donné de pénétrer beaucoup plus avant dans la connaissance de la réalité d’où émanent ces apparences phénoménales, il est toujours exact de dire que notre constitution ne fausse en rien le phénomène et ne nous empêche pas d’en saisir la véritable loi, ou d’en avoir une juste idée, tout à fait indépendante des particularités de notre propre organisation.

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Les sens ne sont pas toujours dans le même état, ne fonctionnent pas toujours de la même manière ; et pourtant, ni les aberrations de la sensibilité chez quelques individus, dans certaines conditions anomales, ni celles même qui se reproduisent habituellement et périodiquement dans l’état de sommeil, ne sont capables, malgré les objections usées du vieux pyrrhonisme, d’ébranler notre foi dans le témoignage ordinaire des sens. C’est que les notions qu’ils nous donnent sur les objets extérieurs, dans l’état de veille, et lorsque rien n’en trouble le jeu ordinaire, s’accordent parfaitement entre elles. C’est que des impressions de nature diverse, reçues par des sens différents, se relient, se systématisent, se coordonnent bien, dans l’hypothèse de l’existence des objets extérieurs, tels que l’entendement les conçoit. C’est que la mémoire constate l’identité des notions que les sens nous ont données, depuis ce période obscur de la première enfance où leur éducation s’est achevée, malgré la variété des affections pénibles ou agréables qui ont accompagné pour chacun de nous, aux diverses époques de la vie, la perception des mêmes objets extérieurs. C’est que la même identité dans la perception des mêmes objets pour tous les hommes jouissant de l’intégrité de leurs facultés, sans pouvoir se démontrer formellement, se manifeste clairement dans notre commerce continuel avec nos semblables, tandis qu’il n’y a nulle liaison régulière entre le songe de la veille et celui du lendemain, ni entre nos songes et ceux des autres hommes. C’est qu’enfin, malgré le peu de connaissance que nous avons du principe de la sensibilité