Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/152

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des notions qu’ils expriment, à passer dans la langue usuelle des peuples instruits ; et c’est ainsi qu’on peut dire maintenant chez nous, avec la certitude d’être compris de tout le monde, qu’un orateur a électrisé son auditoire, ce qui eût été inintelligible au temps de Louis XIV. L’ordre historique des découvertes aurait changé sans doute ; le point de départ et l’ordre de l’exposition didactique ne seraient plus les mêmes ; mais toutes ces circonstances accessoires, quoique d’un grand intérêt lorsqu’on prend l’homme dans sa nature mixte, comme un être à la fois sensible et intelligent (lorsqu’il s’agit, par exemple, d’éducation et de pédagogie), deviennent indifférentes lorsqu’il est uniquement question de ses facultés intellectuelles, des idées que ces facultés élaborent par leur vertu propre, et qui ne changent point dans leur essence, quel que soit, pour ainsi dire, le sol sensible sur lequel elles se sont implantées.

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Non-seulement l’aptitude de notre sensibilité à recevoir les impressions du chaud et du froid n’est pas la condition essentielle de la connaissance que nous avons du principe de la chaleur et de ses effets ; non-seulement elle ne contribue pas au perfectionnement scientifique de cette connaissance, mais elle y pourrait nuire si la raison ne se mettait en garde contre les illusions dont elle est la source. Les modifications de la fibre nerveuse auxquelles se lient les sensations de chaud et de froid peuvent être provoquées par le trouble des fonctions organiques aussi bien que par l’action physique de la chaleur. On frissonne dans la fièvre, quoiqu’on soit plongé dans une atmosphère chaude, et ainsi de suite. Sans trouble organique, l’habitude émousse modifie, dénature les sensations que l’action physique de la chaleur nous fait éprouver. Un bain à la même température nous semble chaud ou froid selon que nous sortons d’une atmosphère plus froide ou plus chaude. Nous trouvons fraîche en été et tiède en hiver une cave dont la température ne varie pas sensiblement avec les saisons. Aussi, dans tous les livres de physique, après que l’auteur a parlé brièvement de l’impression de la chaleur sur nos organes, se hâte-t-il de montrer qu’il ne faut pas juger d’après cette impression, et d’exposer la construction de l’instrument dont les indications sûres, indépendantes de l’état de nos organes, au moins entre de certaines limites de