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Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/160

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supposerons l’homme en possession d’un langage par gestes, ou d’un langage écrit, ou de tout autre instrument analogue à la parole et susceptible des mêmes perfectionnements ; et alors, en procédant toujours par voie de retranchements successifs, nous ferons passer le sens de l’ouïe avant celui de la vue ; attendu qu’il doit résulter de cette suppression, sous les conditions indiquées, des modifications moins profondes dans le système de la connaissance. En effet, bien que la physique ait deux grandes sections, l’optique et l’acoustique, dont les noms suffisent pour indiquer la dépendance où elles se trouvent de nos deux sens les plus élevés, il s’en faut que les liens de dépendance soient aussi étroits pour l’une que pour l’autre. Le son est causé par des vibrations qu’exécutent les particules des corps, dérangées de leurs positions d’équilibre ; vibrations très-rapides, mais dont pourtant la rapidité n’est pas telle qu’on ne puisse la mesurer sans le secours du sens de l’ouïe, indirectement et par le calcul, à cause des liaisons que la théorie a fait connaître entre la durée des vibrations et d’autres phénomènes susceptibles de mesure ; directement même, à l’aide de certains instruments ingénieux dont on doit l’invention aux physiciens modernes. Privé du sens de l’ouïe, l’homme continuerait d’être averti par la vue et le tact des mouvements vibratoires imprimés aux très-petites particules des corps ; et si ses facultés intellectuelles n’étaient d’ailleurs pas plus dénaturées que ne le sont celles du sourd-muet instruit, il arriverait, par les mêmes actes de l’esprit, à la même conception théorique des causes de ces mouvements vibratoires, aux mêmes formules mathématiques qui en sont la plus haute expression. Au fond, le physicien et le géomètre sont dans le cas du sourd-muet, pour tous les mouvements vibratoires dont la rapidité dépasse ou n’atteint pas certaines limites ; l’oreille est sourde aux mouvements vibratoires trop lents ou trop rapides, aux sons trop graves ou trop aigus ; ce qui n’empêche pas le physicien de les comprendre tous dans la même théorie, le géomètre de les lire tous dans la même formule, sans égard aux limites de cette échelle sensible, susceptible probablement de varier, par des causes organiques, d’un individu à l’autre et d’une espèce à l’autre. Sans doute, pour les sons auxquels l’oreille est sourde,