Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/165

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cette théorie que nous n’avons point à discuter, mais qu’il nous est permis de citer à titre d’exemple hypothétique, il y aurait, non pas une lumière, mais trois lumières distinctes auxquelles l’œil de l’homme serait sensible, trois sortes d’irradiations ou d’effluves, affectées, pour ainsi dire, au service de la vision, parmi d’autres irradiations qui n’y concourent pas, mais qui produisent d’autres effets physiques, chimiques ou physiologiques, parfaitement certains. Et dans cette manière de nous rendre compte des choses, nous comprendrions encore mieux combien est accessoire et accidentel, dans l’acte de la vision, le phénomène de la distinction des couleurs dont l’échelle serait renversée par un simple déplacement des points qui correspondent au maximum d’intensité de chacune des teintes élémentaires. Il n’y a de là qu’un pas à la suppression de l’un ou de l’autre de ces trois effluves visibles, ou à la substitution de l’un des effluves actuellement invisibles à l’un des effluves actuellement visibles. Certes, nous ne tombons pas dans la puérilité de croire qu’on puisse proposer des hypothèses et imaginer des plans propres à remplacer le plan de la nature. Il y a sans doute de bonnes raisons pour que nos sensations et les causes de nos sensations soient ce qu’elles sont, jusque dans leurs moindres détails. Il s’agit seulement de distinguer (ce qui est possible et permis à la raison) les conditions essentielles et fondamentales d’un phénomène d’avec les conditions accessoires et de perfectionnement ; il s’agit aussi de reconnaître qu’ici les conditions essentielles sont des conditions géométriques et non physiques, des conditions de forme et non des conditions d’étoffe ou de matière (1).

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Qu’arriverait-il donc si l’œil cessait d’être sensible aux rayons visibles qui lui donnent maintenant la sensation de telle couleur déterminée, ou si les limites du spectre visible venaient à être resserrées davantage ? Evidemment, ce qui arrive pour les rayons actuellement invisibles, et dont nous ne laissons pas que de constater l’existence, par suite des actions qu’ils exercent sur l’aiguille aimantée, sur le thermomètre, sur les réactifs chimiques, à l’égard desquels nous parvenons même à constater des lois de réflexion, de réfraction, de polarisation, tout à fait identiques ou analogues à celles qui régissent les rayons visibles. Ainsi, il en est au fond des sensations