Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/168

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et non à la nature de l’impression produite. Aussi la perception de l’intervalle musical reste-t-elle la même, quelle que soit la hauteur absolue des tons comparés, ou leur timbre, ou leurs autres qualités accessoires, qui modifient la sensation dans ce qu’elle a de purement affectif. C’est une propriété tout à fait éminente du sens de l’ouïe, que la vertu qu’il a de dégager ainsi, du fond ou de l’étoffe de la sensation, un rapport abstrait et mathématique, lequel (comme le langage même l’indique assez, et comme l’histoire de la philosophie le témoigne) est devenu le type de nos plus hautes conceptions sur l’ordre et sur l’harmonie des êtres. Le sens de la vue ne possède point un tel pouvoir à l’endroit de la perception des couleurs. L’association de certaines couleurs peut le flatter ou lui déplaire, comme l’association de certaines voix, de timbres différents, flatte ou déplaît dans un concert ; comme l’association de certaines saveurs plaît ou déplaît à l’organe du goût : mais, bien qu’on puisse assigner des raisons physiques à ce qu’on a nommé l’harmonie ou le contraste des couleurs, la sensation de l’harmonie des couleurs n’est pas, comme celle de l’intervalle musical, la perception d’un rapport mathématique qui resterait le même, quand les termes du rapport, c’est-à-dire les couleurs associées, viendraient à changer. En admettant, ce qui est douteux, que l’accident de la couleur soit lié à la rapidité des vibrations de l’éther, il resterait certain que l’un n’est en aucune façon la représentation de l’autre ; que, par suite, non-seulement l’œil est incapable de compter les vibrations de l’éther, dont la rapidité est hors de toute proportion avec celle des mouvements vibratoires des corps pondérables, mais de plus qu’il est inhabile à saisir des intervalles harmoniques ou des rapports simples entre ces nombres, sous l’énormité desquels l’imagination succombe.

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Il faut maintenant reprendre l’étude du sens de la vue dans sa fonction générale, qui constitue la vision proprement dite, et que nous avons reconnu être fondamentalement indépendante de la distinction spécifique des rayons et des couleurs. Or, on est frappé dès l’abord de cette circonstance, qu’autant nous ignorons les rapports entre les sensations de saveurs, d’odeurs, de couleurs, et les causes qui les déterminent à être ce qu’elles sont spécifiquement, autant la corrélation