Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/238

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inversement l’expérience qui constate la loi pourra être censée donner a posteriori la confirmation du principe, ou du moins vaudra comme une induction puissante en faveur du principe. Nous pourrions reproduire encore la remarque déjà faite (116), au sujet de l’hypothèse des atomes figurés et étendus, à savoir que, si les idées d’espace et de temps avaient un objet réel, d’une réalité absolue, il serait donné à notre intelligence d’atteindre par ses seules forces à ce qui est primitif et absolu ; ce qui peut paraître, par bien des motifs, très-peu probable, quoique cela ne soit pas, ni ne puisse être démontré impossible. Mais nous préférons insister sur des considérations d’un autre ordre, auxquelles nous avons plus habituellement recours dans ce genre de recherches. Admettons que l’esprit ait un penchant (comme il l’a sans aucun doute) à attribuer une réalité absolue à ce que nous concevons sous les noms d’espace et de temps, et que ce penchant soit trompeur : il y aura très-probablement des incohérences dans le système de nos idées, tenant à un défaut d’harmonie entre la nature des objets de la pensée et la manière de les penser ; et réciproquement, s’il se manifeste des incohérences, des oppositions dans le système de nos idées, par suite de l’attribution d’une réalité absolue aux idées d’espace et de temps, il en faudra conclure, avec une probabilité du même ordre, que ces idées n’ont pas objectivement la valeur absolue que l’esprit humain voudrait leur accorder, par une condition de son organisation comme sujet pensant.

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Or, de telles oppositions, de tels conflits existent à propos des idées d’espace et de temps, et donnent lieu à ce que Kant a décrit sous le nom d’antinomies de la raison pure, dans la partie la plus remarquable, suivant nous, de son œuvre de critique. Il répugne de concevoir le monde comme limité dans l’espace, et comme ayant un commencement et une fin dans le temps ; il ne répugne pas moins de concevoir le monde comme n’ayant ni limites, ni commencement, ni fin : première antinomie. Il répugne de concevoir une limite à la divisibilité de la matière ; et il ne répugne pas moins de concevoir la matière comme divisible à l’infini : seconde