Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/25

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mouvement, dans le jeu de certaines forces mécaniques qui ne sont conçues elles-mêmes que comme des causes de mouvement. Il imaginera donc là-dessus des hypothèses qu’il confrontera avec des expériences ingénieuses. Bientôt le géomètre redoublera d’efforts pour opérer cette réduction de la nature sensible à une nature purement intelligible, où il n’y a que des mouvements rectilignes, circulaires, ondulatoires, régis par les lois des nombres. Mais par cela même, et en admettant le plein succès de ses tentatives, en supposant que l’optique aura été ramenée à n’être qu’un problème de mécanique, nous retombons sur un ordre de phénomènes plus généraux, où nous avions puisé d’abord des exemples plus abstraits et plus simples, et où déjà nous avions reconnu, par ces exemples mêmes, qu’il ne nous est pas donné d’atteindre à la réalité absolue : bien qu’il soit dans la mesure de nos forces de nous élever d’un ordre de réalités phénoménales et relatives à un ordre de réalités supérieures, et de pénétrer ainsi graduellement dans l’intelligence du fond de réalité des phénomènes.

11

Quand le sujet en qui la perception réside est à son tour considéré comme objet de connaissance, toutes les modifications qu’il éprouve, même celles auxquelles ne correspondrait aucune réalité externe et phénoménale, peuvent être réputées des phénomènes, et à ce titre être observées, étudiées, soumises à des lois. Ainsi les hallucinations du sens de la vue seront décrites et étudiées comme phénomènes par les physiologistes et les psychologues qui s’occupent ou qui doivent s’occuper de la sensibilité, aussi bien dans ses aberrations qu’à l’état normal. La sensation des couleurs accidentelles attirera au même titre l’attention des physiologistes et même celle des physiciens, à cause de certaines lois très simples et purement physiques, suivant lesquelles les teintes accidentelles naissent à l’occasion du contraste des couleurs réelles.

12

La distinction du sujet qui perçoit et de l’objet perçu ne cesse pas d’être admissible, lors même que l’homme s’observe et se connaît (ou cherche à se connaître) dans sa propre individualité. Cette distinction est bien évidente à l’égard des phénomènes de notre nature corporelle qui tombent sous nos sens ; et, même dans l’ordre des phénomènes intellectuels et moraux, il arrive que l’homme a le pouvoir de se poser comme objet de connaissance à lui-même ; sans quoi toute