Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/255

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l’onde : mais cette idée n’a pas une origine arbitraire ; elle nous est immédiatement suggérée par la perception sensible ; elle entre comme élément dans l’explication rationnelle de tous les phénomènes qui résultent de la propagation des mouvements ondulatoires ; c’est une entité qu’on peut nommer naturelle ou rationnelle, par opposition aux entités artificielles ou logiques.

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Je suppose qu’un naturaliste ou un ingénieur prenne pour objet de ses études le Rhône ; qu’il nous donne l’histoire de ce fleuve, de ses déviations, de ses crues, des modifications brusques ou lentes apportées au régime de ses eaux, des propriétés qui les distinguent, des espèces animales qui les peuplent : ne devra-t-il pas craindre qu’on ne plaigne tant de travail mal à propos dépensé pour ce qui n’est après tout qu’une entité, un signe, flatus vocis ? C’est l’histoire de chaque goutte d’eau qu’il faudrait nous donner ; c’est la goutte d’eau qu’il faudrait suivre dans l’atmosphère, dans la mer et dans les divers courants où le hasard de sa destinée la porte tour à tour ; parce que la goutte d’eau est l’objet doué de réalité substantielle ; parce que le Rhône, si on le considère comme une collection de gouttes d’eau, est un objet qui change sans cesse ; tandis que c’est un objet sans réalité, si, pour sauver l’unité historique, on le regarde comme un objet qui persiste, après que toutes les gouttes d’eau ont été remplacées par d’autres. Dans le cas que nous citons, l’objection serait ridicule et probablement ne viendrait à l’idée de personne : on lira avec intérêt et instruction la monographie du Rhône, comme on lirait avec curiosité et intérêt scientifique celle de ce vent singulier qui parcourt les mêmes contrées, et qui est