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Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/273

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contraire, que les facultés exclusivement propres à l’espèce (par conséquent moins fondamentales pour qui envisage la série des espèces et l’ordonnance générale de la nature) se prêtent plus aisément aux variétés individuelles, aux variétés de races, ou aux variétés résultant de l’action prolongée des mêmes influences extérieures, selon les pays et les époques. La tâche du philosophe moraliste est de distinguer autant que possible, au sujet des idées morales, ce qui est spécifiquement fondamental, ce qui appartient essentiellement à la nature humaine, ce qui n’en est retranché que dans des cas morbides ou monstrueux, d’avec ce qui est abandonné aux variétés individuelles ou à des variétés du genre de celles que nous venons de signaler ; mais sa tâche ne se borne pas là : il peut, il doit encore, en suivant des inductions rationnelles, démêler parmi des idées et des croyances d’origines diverses, celles qui ont leur fondement, leur raison, leur type, dans des lois d’un ordre supérieur, comparativement à celles qui ont donné à l’homme sa constitution spécifique, et par là même distinguer ce qui est moralement bon ou mauvais dans les variétés individuelles.

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Ceci reçoit particulièrement son application à propos de ce qu’on appelle l’honneur, dont les lois, souvent tyranniques, ont pour sanction, non le remords, mais la honte, et ne peuvent être confondues avec celles que la conscience nous révèle, et dont nous respectons l’autorité lors même qu’il nous arrive de les enfreindre. Nous ne trouvons nulle part ce sujet mieux analysé que dans le livre où un spirituel écrivain a envisagé sous toutes leurs faces les conséquences de la grande transformation sociale dont nous sommes les témoins. « Il semble, dit M De Tocqueville, que les hommes se servent de deux méthodes fort distinctes dans le jugement public qu’ils portent des actions de leurs semblables ; tantôt ils les jugent suivant les simples notions du juste et de l’injuste, qui sont répandues sur toute la terre ; tantôt ils les apprécient à l’aide de notions très-particulières qui n’appartiennent qu’à un pays et à une époque. Souvent il arrive que ces deux règles diffèrent ; quelquefois elles se combattent ; mais