Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/280

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sentant ou percevant et de l’objet perçu ou senti, dans l’acte qui les met en rapport l’un avec l’autre et d’où résulte un sentiment ou une perception. En esthétique comme ailleurs, il doit y avoir des cas extrêmes où la solution du problème, dans un sens ou dans l’autre, n’est pas douteuse pour un bon esprit, quoiqu’elle ne soit donnée que par des procédés d’induction nécessairement exclusifs d’une démonstration rigoureuse, et nécessairement exposés à la négation sophistique : comme il doit y avoir aussi des cas douteux, incertains, pour lesquels des esprits divers inclinent d’un côté ou de l’autre, selon leurs propres habitudes et le point de vue où ils se placent. À l’occasion de la perception d’un objet qui nous plaît et qui réveille en nous l’idée du beau, la critique philosophique peut être conduite à une solution différente du même problème fondamental, selon qu’elle se place au point de vue de l’esthétique, ou au point de vue de la connaissance nue et dégagée du sentiment de plaisir qui l’accompagne. Par exemple, l’architecte qui connaît les effets de la perspective, altérera à dessein les proportions d’un édifice, afin que, de la place où le spectateur le contemple, la perspective corrigeant ces altérations, l’objet apparaisse tel qu’il doit être pour nous plaire et pour nous offrir les caractères de la beauté. Le tragédien, le pantomime outreront de même certains effets de leur jeu, en tenant compte de l’éloignement de la scène. Or, en pareil cas, si l’on considère l’idée que l’impression sensible nous donne de l’objet extérieur, en tant que représentative de l’objet même, cette idée est certainement faussée par des conditions subjectives, et conséquemment le caractère de beauté que nous plaçons dans l’objet n’appartient en réalité qu’à l’image, telle que les sens nous la donnent : mais il ne suit nullement de là que les conditions de la beauté de cette image soient purement relatives à notre sensibilité, et que l’image, telle que nous la concevons, ou l’objet qui la réaliserait au dehors n’aient pas une beauté intrinsèque qui subsisterait par elle-même, soit que nous fussions ou non organisés pour la sentir, comme la lumière subsisterait, quand même nous n’aurions pas d’yeux pour nous apprendre qu’elle existe.

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