Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/296

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pour cela d’être des objets naturellement distincts ; et le ciment qui, parfois, les agglutine, n’empêche pas d’y reconnaître des fragments de roches préexistantes, de nature et d’origine diverses. Lorsque les objets nombrés, et par suite les collections de ces objets, peuvent être comparés du côté de la grandeur, les grandeurs formées par de semblables collections sont dites discrètes ou discontinues : par l’addition ou le retranchement d’un des objets dont la collection se compose, elles passent brusquement d’un état à un autre, sans nuances intermédiaires et sans gradations insensibles. Tandis que nous saisissons ce caractère d’individualité et de discontinuité propre à une foule d’objets de nos perceptions, d’autres objets revêtent un caractère opposé. Par exemple, l’eau qui remplit un vase donne, comme le monceau de cailloux, l’idée d’une masse susceptible d’être augmentée ou diminuée : mais, tandis que le monceau éprouve nécessairement des changements brusques dans son volume, dans son poids et dans sa forme par l’addition ou le retranchement des cailloux, le courant qui amène l’eau dans le vase ou qui l’en fait sortir fait varier avec continuité le poids, le volume et la hauteur du liquide dans le vase ; de sorte que ces diverses grandeurs ne passent pas d’un état à un autre, si voisin qu’on le suppose, sans avoir traversé une infinité d’états intermédiaires.

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Dans l’exemple que nous venons de choisir, la continuité pourrait n’être qu’apparente et relative à l’imperfection de nos sens : car peut-être le liquide n’est-il qu’un monceau de particules, lesquelles ne diffèrent des cailloux grossiers et ne se dérobent à nos sens dans leur individualité, que par l’extrême petitesse de leurs dimensions. Mais, dans d’autres cas, la notion de la continuité nous est fournie par une vue de la raison, indépendamment de toute expérience sensible : et ce n’est même que par une vue de la raison que l’idée de la continuité et par suite l’idée de la grandeur continue peuvent être saisies dans leur rigueur absolue. Ainsi nous concevons nécessairement que la distance d’un corps mobile à un corps en repos, ou celle de deux corps mobiles, ne peuvent varier qu’en passant par tous les états intermédiaires de grandeur, en nombre illimité