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Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/332

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siste principalement à fixer par le contexte du discours, et à la faveur de mutuelles réactions entre les éléments qui le constituent, la valeur précise que chaque élément doit prendre, ou du moins à faire en sorte que le champ de l'indétermination se trouve réduit, autant que la nature des choses le comporte. Il faut donc rectifier la comparaison faite au début de ce chapitre (205), et supposer que l'artiste en mosaïque, voulant représenter une fleur ou tout autre objet, tel qu'il existe dans la nature ou que son imagination le conçoit, aurait à sa disposition, au lieu de fragments à teintes fixes, des fragments à teintes changeantes, capables de nous affecter diversement selon les reflets et les contrastes des teintes environnantes : de sorte que l'habileté de l'artiste consisterait à les disposer tellement, que de leurs

méprendre : l'un qui dérive du tudesque fein, signifiant délié ; l'autre qui provient du latin finis, et qui en a retenu les diverses acceptions. — Le mot FIN (fein) et ses dérivés ont plusieurs séries d'acceptions, au physique et au moral, les unes nettement distinctes, les autres affectant des nuances indécises. Au sujet d'une broderie d'or, le mot de finesse exprimera des idées nettement distinctes, selon qu'il s'appliquera au travail de la broderie ou au titre du métal ; mais si l'on parle de la finesse d'un dessin, il faudra que le discours ait assez de développement pour que l'on discerne sans ambiguïté le sens de cette expression ; et si l'on passe aux acceptions morales du terme, il faudra quelquefois consulter jusqu'au jeu de la physionomie de celui qui l'emploie pour sentir la nuance de l'idée qu'il y attache. En anglais, où la même racine germanique se retrouve sous la forme fine, elle désigne plus habituellement la beauté, l'élégance ; prenant ainsi pour acception principale ce qui n'est en français et en allemand moderne qu'une acception accessoire et détournée. — L'autre mot français fin (finis) a aussi deux séries principales d'acceptions, l'une où il s'agit du terme ou de l'extrémité d'une chose, l'autre qui se rapporte au but en vue duquel une chose se fait ; et dans les deux séries on pourrait signaler des nuances qui ne sont susceptibles de détermination exacte ou approchée que par le contexte du discours.

Le lexicographe n'a besoin que d'une scrupuleuse attention pour énumérer toutes les acceptions distinctes et déterminées qu'un mot a reçues dans la langue: son travail devient une œuvre d'art quand il s'agit d'indiquer, par un choix heureux d'exemples, les nuances dominantes dans une série d'acceptions où les transitions sont insensibles. Le ménage artistique est indispensable pour marquer les nuances des termes qu'on appelle synonymes, non qu'ils soient rigoureusement équivalents, mais parce que leurs acceptions ne sont pas tellement distinctes que l'écrivain n'ait souvent la liberté de substituer l'un à l'autre, uniquement pour donner à la phrase plus de rondeur ou d'harmonie, comme dans cette série citée par Voltaire (lettre du 24 janvier 1761): orgueil, superbe, hauteur, fierté, morgue, élévation, dédain, arrogance, insolence, gloire, gloriole, présomption, outrecuidance, à quoi l'on pourrait ajouter: vanité, amour-propre, suffisance, jactance, forfanterie, etc.