Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/46

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de cette troisième force doit faire des angles égaux avec chacune des directions des deux premières forces ; car il n’y aurait pas de raison pour qu’elle inclinât plus vers l’une que vers l’autre, puisque les deux premières forces sont supposées parfaitement égales. De plus, la direction de la troisième force ne peut se trouver que dans le plan qui comprend les directions des deux autres ; car, tout étant symétrique de part et d’autre de ce plan, il n’y aurait pas de raison pour que la direction de la troisième force déviât d’un côté du plan plutôt que de l’autre. Voilà un cas où la simplicité des données et leur parfaite symétrie donnent lieu à une application irréfragable de la maxime leibnitzienne ; mais cet exemple même peut faire comprendre ce qu’il y a de singulier et d’exceptionnel dans les circonstances qui permettent de s’en prévaloir.

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Suivant Leibnitz, les mathématiques se distingueraient de la métaphysique, en ce que celles-là seraient fondées sur le principe d’identité, et celle-ci sur le principe de la raison suffisante. Mais, lorsqu’on invoque ce dernier principe pour établir une vérité mathématique (et il y en a beaucoup d’exemples, non-seulement en mécanique, mais en géométrie, en algèbre pure), on n’empiète pas plus sur le domaine de la métaphysique que lorsqu’on se reporte à toute autre notion première ou donnée immédiate de la raison. Le caractère distinctif des mathématiques (comme nous croyons l’avoir clairement expliqué ailleurs) doit se tirer de ce qu’elles ont pour objet des vérités que la raison saisit sans le secours de l’expérience, et qui néanmoins comportent toujours la confirmation de l’expérience. Ainsi, il est aisé d’imaginer une expérience propre à vérifier la proposition de mécanique établie tout à l’heure par le raisonnement, tandis que cette proposition de la métaphysique leibnitzienne : « Le monde créé est le meilleur des mondes possibles », proposition présentée, à tort ou à raison, comme un corollaire du principe de la raison suffisante, ne serait en aucune façon susceptible d’une vérification expérimentale, quand même nous saurions au juste à quels caractères on doit juger qu’un monde est meilleur qu’un autre. On peut s’appuyer sur le principe de la raison suffisante pour établir, non-seulement des vérités mathématiques,