Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/479

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

DE L’HISTOIRE ET DE LA SCIENCE. 467 dire que la composition historique, susceptible d’autant de variétés de genres qu’il y a de tempéraments divers et de pro- portions entre les principales facultés de l’âme humaine, est singulièrement propre à en faire ressortir les harmonies et les contrastes. 317. L’histoire, par son côté poétique, a toujours le privi- lège d’exciter l’intérêt, quelque faible que soit l’importance des événements racontés ; et ce que la science négligerait comme trop particulier ou trop individuel, est souvent ce qui se prête le mieux à l’art. D’ailleurs des événements qui n’ont laissé aucune trace après eux peuvent encore intéresser le philosophe, s’ils viennent à l’appui de quelque maxime géné- rale de morale ou de politique, qu’on ne saurait trop inculquer et justifier par des exemples. Mais, dans le système général de le connaissance humaine, et en tant qu’auxiliaire obligé de la connaissance scientifique, il semble que l’histoire ne doive fi- gurer que tout autant qu’elle apprend des choses nécessaires ou utiles à l’explication des phénomènes et des faits actuels et de ceux qui doivent suivre. Tout ce qui a passé sans laisser de tra- ces et sans influer sur l’ordre de choses actuellement subsistant, n’a point, pour ainsi dire, sa raison d’être connu, et devient du ressort d’une curiosité vague, que rien ne limite et ne déter- mine. L’histoire notera le débordement impétueux d’un fleuve qui a rompu ses anciennes digues et s’est frayé un lit nouveau dans lequel il coule encore, mais elle négligera la des- cription de ses crues annuelles ou périodiques après lesquelles il reprend son cours ordinaire ; et si les débordements annuels ont pour effet permanent l’exhaussement progressif d’une terre d’alluvion, elle indiquera le résultat général, sans entrer dans l’énumération détaillée de phases qui se ressemblent toutes, et dont les différences n’offrent aucune particularité digne d’intérêt, puisque toutes ces différences doivent se com- penser à la longue 1. Grâce au perfectionnement que comporte la forme scientifique, le domaine des sciences peut s’étendre de plus en plus sans que l’esprit humain cesse de l’embrasser

1 Les événements qu n’ont pas changé d’une manière complète le sort des peuples laissent une faible trace sur les pages de l’histoire ; et la répétition des mêmes hostilités, entreprises sans motifs, suivies sans gloire et terminées sans effets, épuiserait la patience du lecteur. » GIBBON, Hist. de la décad. et de la chute de l’empire romain, ch. XLVI.