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Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/550

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538 CHAPITRE XXIII.

les dispositions organiques que des rapports de plus en plus indirects. Tout est accommodé dans le système de la sensibilité animale à la perception de l’espace et des rapports de situation dans l’espace (139). Il y a homogénéité et liaison directe entre les dispositions organiques de l’appareil des sensations et les rapports pour la perception desquels il doit servir d’intermédiaire entre l’animal et les objets extérieurs. Mais c’est dans la conscience intime de son existence personnelle que l’homme trouve l’idée de la durée et de la coordination des choses dans le temps : idée que nulle disposition organique ne peut avoir en soi la vertu de susciter, parce qu’il s’agit de rapports dont nulle disposition organique ne peut offrir l’empreinte et la représentation immédiate. Si donc il faut attribuer à l’énergie propre de la force qui produit la conscience de l’existence personnelle, la production consécutive de l’idée du temps ou de la durée, il n’y a pas de raison pour exiger que l’organisme conserve l’empreinte de toutes les affections de l’âme qui sont la conséquence d’impressions antérieures, et qui doivent encore exercer sur les déterminations et les actes postérieurs une si capitale influence.

366. — Un homme assiste à un discours qui captive son -attention et lui fait faire des réflexions sérieuses. En ce moment ses sens sont excités, son cerveau travaille ; et si un œil assez perçant pouvait lire dans les détails les plus intimes de l’organisme, il y démêlerait mille traces de ce travail des organes. Bien plus, l’âge, le tempérament du sujet, son état de santé, son régime diététique, toutes choses qui certainement se reflètent dans les dispositions organiques, exercent, concurremment avec le souvenir du passé et le souci de l’avenir, une influence des moins contestables sur l’impression que le discours produit actuellement. Cependant d’autres circonstances surviennent ; les sens rentrent dans le calme ou subissent des excitations d’une autre nature ; il ne reste d’une impression si vive qu’un souvenir qui va se perdre dans la foule des autres souvenirs. Mais voici que vingt ans plus tard, par une de ces liaisons d’idées que la raison aperçoit et où les sens n’ont que faire, par une de ces analogies morales qui rapprochent les faits physiquement les plus disparates, un événement imprévu fait revivre ce souvenir, rappelle des réflexions oubliées, des émotions effacées ; et désormais elles exerceront