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Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/569

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EXAMEN DE SYSTÈMES PHILOSOPHIQUES.

Platon, mais il la dédaigne. Lui-même a soin de nous l’apprendre dans le Théétète, où Socrate, après avoir rappelé l’éternelle objection tirée des rêves et de la folie, et après avoir raillé la doctrine de Protagoras, qui fait de la sensation le critère de la science, et de l’homme la mesure de toutes choses, en demandant pourquoi le pourceau et le cynocéphale n’auraient pas aussi légitimement la même prétention, met dans la bouche de Protagoras ou de ses partisans cette réplique si remarquable[1] : « Vos objections sont de nature à être favorablement reçues de la multitude, comme lorsque vous dites qu’il serait étrange que chaque homme n’eût aucun avantage du côté de la sagesse sur un animal quelconque ; mais vous ne m’opposez ni démonstrations ni preuve concluante, et n’employez contre moi que des vraisemblances. Cependant, si Théodore ou tout autre géomètre argumentait de la sorte en géométrie, personne ne daignerait l’écouter. » Et Socrate, ou plutôt Platon, partageant fort en cela le sentiment de Protagoras, se met en quête d’arguments qu’on puisse honorablement présenter ; et comme la nature des choses se refuse à la démonstration catégorique, il faut bien qu’il se jette dans les subtilités dialectiques auxquelles le génie des Grecs était si enclin, et dont il leur était plus permis qu’à nous de méconnaître la stérilité. Socrate est dans le vrai lorsqu’un peu plus loin il affirme[2] : « que la science ne réside point dans les sensations, mais dans le raisonnement sur les sensations ; puisqu’il paraît que c’est par le raisonnement qu’on peut saisir l’essence et la vérité, et que cela est impossible par l’autre voie. » Il est dans le faux lorsqu’il repousse le seul genre d’arguments et de preuves, ou plutôt d’inductions, que la raison puisse employer pour faire la critique de nos sensations, et pour infirmer la validité des jugements qu’elles nous suggèrent.

378. — D’ailleurs, comment Platon aurait-il pu se contenter, pour la science par excellence, d’inductions et de proba-

  1. « Καὶ ἅ οἱ πολλοὶ ἂν ἀποδέχοιντο ἀκούοντες, λέγετε ταῦτα, ὡς δεινὸν εἰ μηδὲν διοίσει εἰς σοφίαν ἕκαστος τῶν ἀνθρώπων βοσκήματος ὁτουοῦν· ἀπόδειξιν ἢ ἀνάγκην οὐδ’ ἡντινοῦν λέγετε, ἀλλὰ τῷ εἰκότι χρῆσθε, ᾧ εἰ ἐθέλοι Θεόδωρος ἢ ἄλλος τις τῶν γεωμετρῶν χρώμενος γεωμετρεῖν, ἄξιος οὐδ’ἑνὸς λόγου ἄν εἴη. »
  2. « Ἐν μὲν ἄρα τοῖς μαθήμασιν οὐκ ἔνι ἐπιστήμη, ἐν δὲ τῷ περὶ ἐκείνων συλλογισμῷ· οὐσίας γὰρ καὶ ἀληθείας ἐνταυθα μὲν, ὡς ἔοικε, δυνατὸν ἅψασθαι, ἐκεὶ δὲ ἀδύνατον. »