Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/78

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autre chose que de mesurer des grandeurs ou d’assigner la loi suivant laquelle une grandeur dépend d’une autre. Si, par exemple, chaque perfectionnement des instruments d’optique avait fait découvrir de nouveaux détails d’organisation dans l’analyse d’un tissu organique, on en induirait sans hésitation, non pas sans doute que chaque portion de tissu organique est composée à son tour de parties organisées, et ainsi à l’infini, mais au moins que d’autres détails d’organisation nous seraient rendus sensibles par d’autres instruments plus parfaits encore ; car, si nous ne sommes pas fondés à affirmer, d’après l’observation d’un grand nombre de termes d’une série, qu’elle se prolonge à l’infini, il est du moins infiniment peu probable qu’elle s’arrête précisément au terme où s’arrêtent nos moyens d’observation, en vertu d’un système de causes tout à fait indépendantes de celles qui tiennent à la nature de l’objet perçu. Dans tous les cas, on voit combien est peu fondée cette assertion de la plupart des logiciens, que le jugement inductif repose sur la croyance à la stabilité des lois de la nature, et sur la maxime que les mêmes causes produisent toujours et partout les mêmes effets. D’abord il ne faut pas confondre cette maxime avec l’hypothèse de la stabilité des lois de la nature. Si les mêmes causes, dans les mêmes circonstances, produisaient des effets divers, cette diversité même serait sans cause ou sans raison déterminante, ce qui répugne à une loi fondamentale de la raison humaine, et les jugements portés en conséquence de cette loi fondamentale sont (comme l’axiome de mécanique pris pour exemple au n° 27) des jugements a priori, qu’il ne faut point ranger parmi les jugements inductifs. Quant aux phénomènes physiques, il y en a qui sont régis par des lois indépendantes du temps, et d’autres qui se développent dans le temps, d’après les lois dans l’expression desquelles entre le temps. Ainsi, de ce qu’une pierre abandonnée à elle-même tombe actuellement à la surface de la terre, nous ne pourrions pas légitimement induire que cette pierre tomberait de même, et avec la même vitesse, si l’on récidivait l’expérience au bout d’un temps quelconque ; car, si la vitesse de rotation de la terre allait en croissant avec le temps, il pourrait arriver une époque où l’intensité de la force centrifuge balancerait celle de la gravité, puis la surpasserait. À la vérité,