Page:Courteline - L'illustre Piégelé, 1904.djvu/30

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Car en vérité ils jouaient bien. Deux, surtout : un grime à perruque, duquel les bouffonnes contorsions étaient à faire pâmer de rire, et un exquis jeune premier, dont la bouche fleurie de phrases amoureuses évoquait l’idée d’un cul de poule qui aurait pondu du miel. Ils se complaisaient tellement à s’écouter, qu’un moment vint où ils se mirent à parler tous deux à la fois, chacun n’en tendant que sa propre diction, déclamant avec une volubilité surprenante et s’interrompant de temps en temps pour jeter aux gens de la salle qui se lamentaient de plus en plus et braillaient à qui mieux mieux :

— Ne criez donc pas comme ça. Vous n’écoutez pas ce que je dis. C’est ridicule.

Cependant l’incendie gagnait. On en entendait le grondement sourd, dans les dessous du théâtre. Soudain d’entre les fentes du plancher de la scène, des langues de feu surgirent, et bientôt la scène tout entière fût envahie par les flammes. Les comédiens, impassibles, jouaient toujours ; et je pensais :

— C’est le suintement de leur vanité qui, les isolant, les protège.

La salle maintenant n’était plus qu’un brasier empli de cris épouvantables. Mais, comme, d’un tas de fumée opaque, s’élevaient les voix des acteurs entêtés à se faire admirer et annonçant : « Nous n’en