Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/21

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qu’il avait mise dans ses meubles et qu’il idolâtrait et rouait de coups tout ensemble.

Rue de Lorient, une venelle en coude qu’écrase la crête de la Butte sous l’ombre allongée de ses moulins, il lui avait loué et meublé un petit rez-de-chaussée de trois pièces où étaient venus coucher les uns après les autres tous les rigolos de Montmartre, sauf lui, qu’elle renvoyait impitoyablement à sa niche de la villa.

Car cette prodigue de soi-même, de qui nul pied n’avait en vain agacé le pied sous une table, se montrait avec lui d’une lésinerie inouïe, d’une ladrerie qui ne désarmait par-ci par-là qu’avec des soupirs assommés, et qui, après l’avoir lentement exaspéré, le jetait soudain à des accès de folie furieuse.

— Saleté ! criait-il. Coquine ! En voilà encore des façons ! Si je te dégoûte, faut le dire.

Mais elle, froidement :

— Faut le dire ?… Je le dis.

— Je te dégoûte ?

— Oui, tu me dégoûtes !

Alors Stéphen Hour, hors de lui :

— Sale bête ! hurlait-il, sale bête !

Et là-dessus, c’était des batailles à en étourdir la maison, des pourchas extravagants autour des meubles culbutés, des scènes de pugilat en chambre, d’où ils sortaient : lui, comme d’une catastrophe à laquelle il n’aurait échappé que par miracle, éperdu, muet, les lèvres blêmes ; elle, comme de son lit, mon Dieu ! reposée, et souriante, et calme, toute colorée de calottes et ravie d’avoir fait écumer le gros homme.

Pauvre gros homme !

Torturé de jalousie latente et de désirs insatisfaits, deux